L'imam Google qui a fait buguer Cazeneuve

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 135 commentaires

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Et soudain, l'énigme du moment est soumise à Bernard Cazeneuve.

"Il est salafiste, il fait partie de ce que on appelle les imams Youtube" présente David Pujadas. Imam de Brest, Rachid Abou Houdeyfa est considéré comme fondamentaliste, oui, certes, mais fermement opposé à la violence djihadiste. France 2 a préparé un montage chaud-froid de ses prêches. Froid : "Ceux qui aiment la musique et qui écoutent la musique, ils écoutent qui ? Le diable. Qu'est-ce qu'a dit le prophète ? Ils seront engloutis par la terre. Et ils seront transformés en singes et en porcs". Chaud : "On doit être respectueux, et on doit être tolérants. Peu importe la religion de la personne qu'on a en face de soi." Froid : "Comment une femme peut dire qu'elle a beaucoup de pudeur, alors qu'elle sort de chez elle sans son hijab ? Le hijab, c'est l'honneur de la femme. Et si elle sort sans honneur, qu'elle ne s'étonne pas que les hommes abusent de cette femme-là". Chaud : "Le bon musulman obéit à son épouse si elle est un peu débordée par les tâches ménagères, et qu'elle lui demande de l'aide".

L'imam ne précise pas si le bon mari musulman doit aussi obéir à une épouse qui écoute de la musique et sort sans hijab, mais c'est sans doute au programme de deuxième année. Peu importe : chaud-froid, mi-oiseau mi-mammifère, voyez mes ailes, voyez mes pattes, le specimen a de quoi donner le tournis à un ministre de l'Intérieur normalement constitué, d'autant que Pujadas se pose une question, et une seule. "Est-ce qu'il faut sévir ou pas ?" Et Cazeneuve, parvenu là à l'extrême limite de son logiciel, est incapable de répondre. Echange de sourds : "Dès lors que ce discours est tenu, qui a une part de radicalité, qui conduit à une forme d'ignorance, et l'ignorance conduit toujours à la violence, alors il faut être extrêmement ferme et dire l'incompatibilité de ces discours avec la République dans son ambition d'émancipation". "Soyons concrets : cet homme-là doit être poursuivi selon vous ?""Il ne peut pas être poursuivi selon le droit. Rien de ce qu'il dit n'est pénalement répréhensible. Mais le droit permet la dissolution de mosquées qui appellent à la haine et conduisent à la radicalisation". "En l'occurence ?" "Si ces propos sont tenus auprès de jeunes, avec des conséquences, et il y en aura des conséquences..." "Ils sont tenus ! Avec des conséquences, je ne sais pas..." "...s'ils sont tenus de façon réitérée, conduisant à des comportements violents, il faut en tirer les conséquences". Ouf. L'imam Google sait désormais à quoi s'en tenir. Ou pas.

Si Rachid Abou Houdeyfa fait buguer le ministre de l'Intérieur, c'est parce que la classe dirigeante, tous ses discours le martèlent, est programmée par l'équation fondamentalistes = djihadistes. Peut-être, nonobstant l'état d'urgence, devrait-elle prendre le temps de lire davantage les journaux, dans lesquels des experts habituellement peu médiatisés, mais de plus en plus nombreux, expliquent que cette équation est désormais périmée, comme par exemple Raphaël Liogier qui assure que "ce néofondamentalisme méprise l'action violente, considérée comme impure parce que trop moderne". Et là où "le bât blesse" comme le remarque très justement le sociologue Michel Wieviorka, c'est dans "la remontée de ces débats, de ces réflexions, vers les institutions et le système politique". A supposer d'ailleurs que ces réflexions "remontent" un jour pour atteindre les cerveaux gouvernementaux, se présentera une autre difficulté, celle de conclure une alliance, même tactique, avec des rétrogrades, même anti-Daech. Mais en temps de guerre, si guerre il y a, choisit-on ses alliés ? D'autant qu'après tout, Rachid Abou Houdeyfa est-il vraiment plus infréquentable que nos amis les Saoudiens ?


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