Liberté de la presse : le front Europe 1

Daniel Schneidermann - - Silences & censures - Médias traditionnels - Le matinaute - 94 commentaires

Fut une époque, ô jeune public, où Bolloré s'appelait Hersant. Hersant, prénommé Robert, ancien collabo, racheta à tour de bras des journaux, dans les années 70, pour en faire des machines de guerre au service de la droite de l'époque, accrochant enfin un beau jour Le Figaro à son palmarès. Le "papivore" était si puissant que même Simone Veil fut forcée, en 1984, d'accepter sa présence sur la liste qu'elle menait, lors d'une élection au Parlement européen. "Pour la première fois de ma vie, j'avais accepté, pour de basses raisons d'opportunité, un compromis qui avait à mes yeux l'allure d'une compromission" s'en expliqua-t-elle plus tard.

Vu des rédactions, et même des rédactions de droite, Hersant était le loup-garou, réputation qu'il s'employa à conforter, tant il avait compris qu'inspirer une saine terreur épargne bien des efforts ultérieurs. On lui prête ainsi, à propos des journalistes des rédactions rachetées, la citation suivante :  "La première fois, je leur demande l'autorisation d'aller pisser. La deuxième fois, je vais pisser sans autorisation. La troisième fois, je leur pisse dessus".  Vraie ou fausse ? Peu importe. Elle définissait une procédure, une marche à suivre, en même temps qu'une philosophie.

Dans sa prise de pouvoir larvée à Europe 1, dont il possède 27% via Vivendi, Vincent Bolloré a-t-il sauté une page du mode d'emploi ? Passe encore de virer, d'embaucher, d'établir des "passerelles" avec sa chaîne -"parfois d'extrême droite", selon les prudents journalistes d'Europe 1 eux-mêmes- CNews, avec la complicité des dirigeants-pontonniers d'Europe 1, Constance Benqué, vice-présidente, et Donat Vidal-Revel, directeur de l'information, nommés par Lagardère, mais tremblant eux-mêmes pour leurs postes. Mais on a appris dans la journée d'hier qu'un journaliste de la station, Victor Dhollande-Monnier, était convoqué à un entretien préalable à un licenciement. Sa faute ? Avoir vivement pris à partie une employée de la DRH de la station, qui enregistrait clandestinement une assemblée générale de journalistes, procédé évoquant forcément la chasse aux opposants, à laquelle se livrent les dirigeants de Canal+ bollorisé. Les journalistes ont donné à la direction jusqu'à 13 heures, aujourd'hui, pour annuler cette convocation, faute de quoi ce sera la grève. Europe 1, sous Lagardère, n'était certes pas la station de cœur de tous. Mais il s'y livre aujourd'hui une bataille essentielle, pour cette pauvre chose en lambeaux que l'on appelle la liberté de la presse. 

PS. Rien à voir, bien entendu, mais pour ceux qui s'étonneraient de voir qualifier CNews de "chaîne d'extrême droite", cette vidéo satirique allemande, sur le thème de la difficulté de bien nommer les choses.



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