Libé, et l'Etat zombie
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 37 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Pan sur le bec du matinaute. Je persiflais ici-même hier matin que pour être informé sur Libé
A moins que vous ne craigniez d'effaroucher l'Etat. Tiens, parlons-en. Je lis ici et là que Ledoux est allé tendre sa sébille au CIRI, c'est à dire à Bercy, et qu'il s'y serait montré si maladroit qu'il s'est fait jeter. Je ne sais pas si c'est vrai -il faut toujours se méfier de ce que dit la presse. Mais je ne vous entends pas vous prononcer sur cette démarche elle-même, sur l'idée même de devoir à l'Etat un sursis d'un mois ou deux.
Pourtant, on est au coeur du sujet. Vous vous replongez en ce moment dans vos origines, les années Sartre, et dans les déclarations enflammées de vos maos fondateurs. Mais à l'époque, pour eux, l'Etat, c'était l'ennemi. L'Etat, c'était les flics, l'armée, la banque. Il a fallu 81, et le ralliement de July à Mitterrand, aux investisseurs, et à la pub, pour que bascule lentement la focale, et que le journal entre dans une autre spirale, une autre logique, finalement mortifère, de laquelle les chers confrères du Sanibroyeur et de la belle demeure craignent pourtant aujourd'hui de vous voir sortir.
De Mitterrand en Hollande, l'Etat est resté l'Etat, même semi-dissous dans le Spectacle comme un cadavre dans l'acide. De ses restes, rien à attendre. Ayrault, Hollande, Filippetti, ne sont pas des divinités bienveillantes qui vont vous sauver au dernier moment, comme dans les Ecritures ou dans les films. Ce sont des zombies. Fuyez-les ! S'ils font mine de vous sauver, ce sera pour vous perdre, comme ils vous ont déjà perdus. Ils doivent vous craindre, et comment vous craindraient-ils, si vous tendez la sébille ? Fuyez-les ! C'est maintenant le moment, qui ne se représentera pas. Le journal vous appartient, ça ne durera pas.
Vous craindre, cela ne veut pas dire redouter le petit adjectif dans l'édito, qui va les chatouiller en lisant leur revue de presse, le matin au café. Vous craindre, celà veut dire trembler. Trembler de vos analyses, de vos révélations, de vos sarcasmes, de votre simple parole libérée. Soyez excessifs, soyez injustes, soyez partiaux, cognez comme des sourds, du moment que vous écrivez, et que vous faites pulser le journal. Enfoncez le clou de leurs reniements, de leurs esquives, de leurs ambiguités, de leurs ruses. L'immense armée de vos lecteurs perdus, de tous ceux qui restent à conquérir, retient son souffle.