Les journalistes, les élus et les Césars

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 76 commentaires

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Fendant la petite foule qui se presse sous les lambris, Marion Maréchal Le Pen se précipite vers Gilles Leclerc.

"Vous avez été vraiment minable. On va vous avoir. Et quand ça va arriver, ça va vraiment vous faire mal. Des fois on a un petit coup de mou, mais quand on a ça, on est vraiment motivés. Vraiment", lance la députée FN au président de Public Sénat. Et Gilbert Collard, au même Leclerc : "fallait mettre un préservatif, pour venir". L'ensemble saisi, comme il se doit, par une caméra du Petit Journal.

Un peu plus tôt, Leclerc a remis au maire FN de Henin Beaumont, Steve Briois, le prix de l'élu local de l'année. Enfin, pas vraiment remis. Comme nous le racontions hier, Leclerc est descendu de l'estrade avant que Briois y monte. Surtout, Leclerc a gratifié le lauréat d'un discours d'engueulade, conclu par un magistral "où étiez-vous, le 11 janvier ?"

Merci à Gilles Leclerc, et Arlette Chabot, et Christophe Barbier, et Laurent Joffrin (entre autres membres de ce prestigieux jury). Sans eux, on n'aurait peut-être jamais connu l'existence de ce prix annuel du Trombinoscope, par lequel une poignée d'éditocrates distinguent chaque année une poignée d'élus (avec une imagination créative qu'il faut saluer : la "personnalité politique de l'année" est Manuel Valls. Et le "sénateur de l'année", devinez qui ? Le président du Sénat, Gérard Larcher). A quoi rime cette cérémonie ? Je n'en sais rien. Et manifestement les jurés non plus, qui sortent les rames depuis deux jours pour expliquer que leur prix ne prime rien du tout, mais vise simplement à prendre acte, à remarquer, à saluer, à noter, à répertorier. Ce n'est pas un prix, si on comprend bien, c'est une liste de courses, un post-it sur le frigo.

A quoi riment toutes ces mondanités aux frais du contribuable, c'est mystérieux. A quoi elles servent est beaucoup plus clair. En même temps que le Petit Journal diffusait cette éloquente cérémonie, les deux 20 Heures de TF1 et France 2 proposaient deux intéressants sujets. Sur TF1, on apprenait qu'un certain nombre de parlementaires achètent les locaux de leur permanence avec leur indemnité de frais de mandat (5770 euros brut mensuels), et la conservent après la fin de leur mandat. Selon le site de France Télévisions, au moins 12 députés encore en activité (dont Nathalie Kosciusko-Morizet, numéro deux de l'UMP), sont dans ce cas. France 2, elle, se penchait sur les libéralités dont bénéficient les trois ex-présidents encore vivants (Giscard, Chirac et Sarkozy). Au-delà du salaire de leurs chauffeurs (4 000 euros) et de celui de leurs collaborateurs (7 000), on y apprenait qu'ils sont seuls à décider des avantages dont ils disposent. Ils embauchent, achètent des voitures, et la République règle la note.

Quel rapport avec les prix du Trombinoscope ? Celui-ci. A l'origine de ces deux révélations, on trouve, non pas des journalistes, mais deux lanceurs d'alerte, Hervé Lebreton (pour les permanences) et Raymond Avrillier (pour les ex-présidents). Nous les recevions tous les deux l'an dernier, dans cette émission. C'est eux qui, de longs mois durant, ont enquêté, fouillé, rédigé des courriers, essuyé les non-réponses. Et les journalistes, pendant ce temps, qui connaissent si bien le personnel politique ? Ne les dérangez pas, ils décernent des Césars. On ne peut pas être partout.

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