L'effet Majax

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 118 commentaires

Gérard Majax a refusé l'invitation d'Hanouna, et le cachet idoine, mais accepté celle de Anne-Elisabeth Lemoine, sur France 5. Abracadabra : aussitôt apparaît-il sur le plateau, ce ne sont plus que sourires autour de lui. Lemoine sourit. Même Patrick Cohen sourit. Et partout ailleurs, sur toutes les chaînes qui le convoquent en duplex depuis Nice, le montage de Quotidien montre les mêmes sourires : éditorialistes, présentateurs, chaînes publiques, chaînes privées, fachos, fâchés, tous hilares, tous rajeunis de quarante ans, tous retombés en enfance majaxienne, tous gamins et gamines devant le "truc" des allumettes magnétiques, même ceux qui n'ont même pas quarante ans. 


"C'est pas Gérard Majax ici, Madame Le Pen" a lancé Macron pendant le débat, variante inspirée du célèbre "il n'y a pas d'argent magique". Aussitôt, le système se met en branle, donne le meilleur de lui-même. Le soir-même, les chaînes d'info appellent le magicien retraité niçois, star de l'ORTF des années 70. En réaction, les grincheux des réseaux sociaux s'affligent de la baisse de niveau.  Les politologues politologisent. Les sociologues sociologisent. L'interprète du débat en langue des signes est interrogée : comment a-t-elle traduit "Majax" ? Les rationalistes rappellent qu'il a contribué à démasquer les escrocs de la fausse magie. Autour de Gérard Majax règne un consensus d'autant plus absolu qu'il avait sagement su disparaitre ces dernières années, échappant à une ou deux décennies de polémiques venimeuses.

Abracadabra : rajeunissant le pays de quarante ans, Gérard Majax a fait disparaître la priorité nationale, le droit du sol, le fascisme, le pouvoir d'achat, les APL, les retraites, les canicules, les inondations, le gel, le nucléaire, Poutine, Zelensky, Marioupol, Boutcha, les ruines, les réfugiés, le prix de l'essence, devant le sourire universel d'un auto-attendrissement sur cet âge d'or des années 70-80, et sa chaîne unique rassembleuse. Et le matinaute de se gratter le front, en cherchant de quoi la majaxomania pourrait bien être le nom. Avant de conclure que non, décidément, elle ne dit que le désir dévorant de "parler d'autre chose" dans une avant-dernière journée d'une interminable campagne, où on n'a plus rien d'autre à dire, tout le reste ayant déjà été dit.


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