Le virus et l'aéroport

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 66 commentaires

Allez donc plonger dans les arrière-pensées des décisions politiques ! Allez donc savoir quelles sont les "vraies" raisons du renoncement du gouvernement à privatiser Aéroports de Paris, décision annoncée à la veille de la clôture, le 13 mars, de la campagne de recueil de signatures de soutiens. Aussitôt, les opposants ont crié victoire (ici ou ici, par exemple). C'est le grand mouvement de soutien, matérialisé par le recueil de plus d'un million de signatures (sur les 4,7 millions qui étaient constitutionnellement nécessaires), qui a fait reculer le pouvoir.

Annonçant cette décision, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a argumenté, au contraire, que "les conditions du marché ne sont pas favorables". De fait, outre que, pour l'anecdote, le PDG d'ADP a lui-même été testé positif au virus, l'action plonge, comme les Bourses du monde entier (tendance qui ne risque pas de s'inverser après la décision de Trump de fermer les Etats-Unis aux voyageurs européens pendant trente jours). Même si le gouvernement aurait toutes les raisons de mentir, pour ne pas accorder la victoire aux opposants au projet (dont ma pomme, pour des raisons longuement exposées ici), je suis, pour une fois, plutôt enclin à croire le potentiel mensonge de Ndiaye. Un simple coup d'oeil sur la courbe ci-dessus pourrait parfaitement, aux yeux de ce gouvernement, constituer un mobile suffisant. A quoi s'ajoute qu'Emmanuel Macron lui-même avait souhaité abaisser la barrière à hauteur d'un million de signatures. Ligoté par cette promesse non tenue, le gouvernement aura souhaité se tirer d'une situation inextricable.

La morale de toute l'histoire ? Aucune. Le "verre à moitié vide", c'est qu'il aura fallu une pandémie mondiale, et le krach boursier consécutif, pour amener le gouvernement français à cette mesure de bon sens. Le "verre à moitié plein",  c'est le simple constat que d'un mal peut surgir un bien. Du cauchemar de la pandémie, surgissent le coup d'arrêt à la folie de la croissance du transport aérien, le renoncement au dogme du zéro-déficit budgétaire ("Nous faisons ce qui est nécessaire. Nous n’allons pas nous demander tous les jours ce que ça signifie pour notre déficit" a déclaré Merkel elle-même), le hara kiri des projets libéraux les plus fous, et la brutale prise de conscience d'une nécessaire démondialisation.

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