Le signal d'alarme était caché

Daniel Schneidermann - - Alternatives - Le matinaute - 133 commentaires

Les nouvelles galopent et les journées sont courtes, vous savez ce que c'est. Au réveil, chacun ses vices, j'ai eu envie de prendre des nouvelles de la demande polie par le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, la semaine dernière, aux entreprises, de "faire preuve de la plus grande modération" dans leurs distributions de dividendes. Il en est peu question à la télévision, et pas davantage dans la chronique confinée de Dominique Seux, sur France Inter.


Pourtant c'est son journal, Les Echos, qui nous apprend que le cours de l'action Vivendi a bondi de 7,4% ce mardi, "par la magie des rachats d'actions", comme disent Les Echos. Le "rachat d'actions" magique est une autre manière de rémunérer les actionnaires. En l'occurence, ce rachat d'actions est lié à la vente de 10% d'Universal Music Group au Chinois Tencent. Il a donc suffi que "les investisseurs" entendent le "gros mot" rachat d'actions, pour que l'action Vivendi s'arrache, et s'envole.

Voir Lady Gaga ou Kendrick Lamar (artistes figurant au catalogue Universal Music) passer sous pavillon chinois est sans doute moins grave pour la Santé publique que la délocalisation de la fabrication des masques. Ce que révèle pourtant cette bonne surprise des actionnaires au peuple des confiné.e.s (Les Echos, prudents, précisent bien que ce n'est pas un poisson d'avril), c'est qu'au-dehors, les affaires continuent. Les gouvernements peuvent continuer d'agiter les mêmes sabres de bois qu'avant la pandémie, tout continue, et continuera. 

Nous sommes nombreux, ici comme ailleurs, à rêver d'un après. D'un après qui ne ressemblerait pas à l'avant. Où l'on aurait tiré les leçons, par exemple, de l'arrêt forcé de la machine folle de la mondialisation. Mais non. Elle ne s'est arrêtée qu'en apparence. Si le gouvernement n'interdit pas les dividendes, avec une belle et bonne loi, rien ne changera. Qu'on ne nous oppose pas l'éternel "ce n'est pas possible". Nous savons aujourd'hui que tout est possible. "Découverte incroyable : il y avait bien dans le système économique mondial, caché de tous, un signal d’alarme rouge vif avec une bonne grosse poignée d’acier trempée"résume  le philosophe Bruno Latour.

A propos de dividendes, outre Bruno Le Maire, la Banque Centrale Européenne (BCE) a appelé les grandes banques de la zone euro à ne pas rémunérer leurs actionnaires. Cette abstinence volontaire pourrait libérer 30 milliards d'euros, que les banques pourraient employer à soutenir l'économie. En réponse, l'Espagnol Santander a annoncé vouloir "revoir son dividende". L'Allemand Commerzbank, le Néerlandais ING, se sont engagés à ne pas rémunérer leurs actionnaires "au moins jusqu'en octobre"

Et les banques françaises ? "L’exception est pour l’heure française,note sobrement l'AFP, les banques de l’Hexagone, parmi les plus solides de la zone euro, et ayant engrangé de juteux bénéfices en 2019, demeurant très réservées sur la question. BNP Paribas, Société Générale, Natixis et Crédit Agricole SA indiquent avoir pris connaissance des recommandations de la BCE sans s’engager à suivre ses recommandations".

Il faut pourtant croire que Dominique Seux n'est pas insensible à la question. Je l'entends à l'instant, sur France Inter, avertir sévèrement : après la crise, "on se demandera qui a été à la hauteur." Avec cette phrase lemairienne  : "Aujourd'hui, des milliers d'artisans de petits commerçants savent ce que leur a dit leur banquier, le banquier qu'ils connaissent bien. Qui a eu de bonnes idées, et qui n'a pensé qu'à son cours de bourse". Mais ni "dividendes", ni "rachat d'actions", ni "Vivendi" : le sermon est garanti sans gros mots.

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