Le monde, et les mystères de Daniel Kretinsky

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 49 commentaires

Le meilleur indicateur, et même le seul, de la liberté et de l'indépendance d'un media, c'est la liberté avec laquelle il traite de lui-même, de ses dirigeants, de ses actionnaires, de ses débats et conflits internes. Appliquez ce critère à tous les medias que vous connaissez, il n'est jamais trompeur. A cet égard, la partie que mène la rédaction du Monde, depuis quelques jours, contre son probable nouvel actionnaire, le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, mérite d'être observée à la loupe.

L'homme d'affaires a déjà croqué sept magazines du groupe Lagardère, dont Elle, Télé 7 Jours, et France dimanche. Il a racheté Marianne. Et on apprenait donc la semaine dernière qu'il était en passe de racheter près de la moitié des participations du banquier français Matthieu Pigasse dans Le Monde. Personne ne sait pourquoi cette soudaine fringale de presse française. Personne ne sait quels intérêts, le cas échéant, se cachent derrière lui. C'est un cas de figure inédit dans l'appropriation des medias par les milliardaires : après les milliardaires familiers du luxe, de l'armement ou des télécoms, le milliardaire inconnu. C'est évidemment suprêmement inquiétant pour la liberté de la presse -et la vente, dans la même période, des magazines français de Mondadori au sinistre groupe Reworld n'est pas faite pour rassurer. On avait déjà vu un oligarque russe, Serguei Pougatchev, mettre la main sur France Soir, avant de le liquider, mais ses acquisitions n'avaient pas la même ampleur.

Dans cette situation cruelle, Marianne se défend à l'ancienne : pas un mot. Dans un numéro à fière couverture tapageuse ("Qui veut mettre au pas les medias ?"), une simple brève de quelques lignes sur son propre cas, comme nous le remarquions la semaine dernière. La chape de plomb est déjà tombée sur le magazine dirigé par Natacha Polony (nommée par ledit Kretinsky). La rédaction du Monde, elle, se défend à ciel ouvert. Si elle doit être croquée , au moins qu'elle succombe en pleine lumière, et pas au fond d'une ratière. La semaine dernière, donc, le journal consacrait une double page à son nouvel actionnaire-mystère, sa stratégie, les origines de sa fortune, sa présence dans les Panama papers, etc. Et ce matin encore, Le Monde reprend immédiatement le scoop de Jérôme Lefilliâtre, dans Libération: contrairement à ses déclarations, c'est la totalité de ses parts, que Pigasse, au cours de l'été, avait souhaité vendre. Bref, le journal se défend avec la seule arme dont il dispose : le journalisme. C'est au moins la vision optimiste de la situation, dont rien n'indique qu'elle ne soit pas fondée.

Il en est une autre, un peu moins glorieuse. Entre les lignes de l'enquête de Libé, on comprend que c'est, entre autres, Xavier Niel, actionnaire dominant du journal, qui a dissuadé son associé Pigasse de tout vendre à Kretinsky. On en déduit sans difficulté que ce n'est pas avec un plaisir fou, que Niel se verrait associé au Tchèque mystère. Tout ce qui pourra être fait pour lui savonner la planche n'est donc pas forcément pour déplaire au patron de Free. Ce ne sont là que spéculations. Comme il est répété dans tous les articles sur le sujet, Xavier Niel a refusé de s'exprimer.

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