Le héros de France Culture
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 150 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Il y a un héros à la Matinale de France Culture. Un héros anonyme
-je n'ai pas retenu son nom, honte sur moi. Mais j'ai assisté à ce moment. On était en pleine Matinale foot. Foot manière France Culture, évidemment. Foot historico-intello, avec universitaire, et grande rétrospective-balai sur l'image du foot depuis le début du XXe siècle. Avec la participation, aussi, naturellement, du légendaire Jacques Vendroux, directeur des sports de Radio France, et Grande Voix de la radio depuis 1969 (le foot conserve). Vendroux venait d'évoquer avec des trémolos les cocardiers De Gaulle et Pompidou (Giscard, lui, s'en fichait).
Alors le Héros se lança. Il était autour de la table. Depuis le début, il attendait son heure. "Comment se fait-il que le sport soit le seul domaine dans lequel on a le droit d'être cocardier ?" balança-t-il (en substance, je ne prenais pas de notes). Avait-il négocié sa question auparavant ? Avait-il caché son jeu ? Elle n'avait l'air de rien, cette question. Mais sous ces quelques mots, on sentait frémir la colère contre des heures et des heures d'hystérie chauvine impunie dans le commentaire sportif, qu'incarnait face à lui la Légende Vendroux. Alors la Légende, croyant rejeter le moustique d'une pichenette : mais enfin, tous les Français ont envie que la France gagne ! Le héros aurait pu ne rien répondre. Il aurait pu, terrassé par cette évidence, devant le cruel rappel de sa solitude, rentrer tranquillement dans la foule. Retrouver la quiétude de son foyer. Mais non. Il était à découvert. Il n'avait plus rien à perdre. "En êtes-vous sûr ?" lança-t-il à Vendroux, comme on jette ses dernières forces dans la bataille. Ce n'était rien. Mais c'était déjà trop, et le présentateur, Guillaume Erner, reprit promptement le contrôle des événements.
"En êtes-vous sûr ?" Il avait posé la question. Il avait osé. Et on avait tous entendu. On avait un allié dans la place. Au coeur du donjon. Je ne connais pas le héros de la Matinale. Je n'ai pas retenu son nom, tout est allé si vite. Il est passé comme un éclair, comme une étoile filante. Je l'imagine jeune, ardent, cherchant fiévreusement dans la grande ville, le soir venu, dans les venelles du 11e arrondissement de Paris, une terrasse de café sans écran géant. Ô héros de France Culture, ô ami, sache que tu n'es pas seul. Si tu tombes, un ami sortira de l'ombre à ta place.