Le coronavirus, ce bébé dragon
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 42 commentaires
8000 morts en 8 semaines en 2018-2019, 17 morts cet hiver depuis l'arrivée du nouveau virus : alerte générale ! Je vous parle évidemment de la grippe en France, de la bonne vieille grippe annuelle, celle qui tue tranquillement chaque hiver, sans que cette hécatombe suscite ni directs fiévreux ni débats alarmés sur les chaînes d'info.
Alors pourquoi soudain la panique du coronavirus de Wuhan (80 morts en Chine, et trois cas en France, à l'heure où j'écris) ? Pourquoi les téléspectateurs des chaînes d'info ont-ils eu droit tout le week-end à une exposition de masques ? Pourquoi, même les informations théoriquement rassurantes -les malades détectés en France "vont bien"
, le virus est "plus contagieux mais moins virulent"
qu'attendu- semblent-elles contribuer à la panique générale ?
Je ne crois pas une seconde, en dépit des extravagances cyniques du sondologue Jérôme Jaffré, qu'il s'agisse d'un complot pour évacuer l'événement du week-end sur la réforme des retraites, l'avis très critique du Conseil d'Etat.
⚡??VIDÉO - « À quelque chose, malheur est bon... » Sur #LCI, un éditorialiste/politologue se réjouit de l'arrivée du #Coronavirus en France qui "peut permettre au gouvernement de reprendre pied" sur le dossier des #retraites, dans un climat "beaucoup plus apaisé..." (?@achabus) pic.twitter.com/4zsar1ajJ5
— Brèves de presse (@Brevesdepresse) January 25, 2020
Alors pourquoi ? D'abord parce que le nouveau dragon vient de Chine. En toute logique, direz-vous la loi du mort kilométrique (plus une catastrophe est lointaine, moins elle intéresse) devrait donc jouer contre le coronavirus. Mais outre que la Chine n'est plus si lointaine (de nombreux Français séjournent à Wuhan), elle n'est pas n'importe quelle terre lointaine. La Chine est non seulement lointaine mais immense et opaque, terre d'origine d'où venaient déjà le SRAS en 2003 et le H5N1 (1997). La Chine où, question confinements et quarantaines, on ne fait pas les choses à moitié -des dizaines de millions de personnes y sont confinées. Tout événement se déroulant en Chine est donc pourvu d'un coefficient multiplicateur d'intensité encore à déterminer.
Mais surtout, il faut bien constater un appétit médiatique pour la catastrophe naissante et imprévisible, qui échappe à toutes les routines. Pour la catastrophe en devenir, le bébé dragon à peine sorti de l'oeuf, mais déjà gros de toutes les promesses dramatiques (extensions, mutations du virus), et donc calibré pour les "live" et les "priorités au direct". Jamais la nature profonde de dealer de panique de l'info continue ne s'est si bien révélée.