Le canular Trump
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 112 commentaires
Ainsi, le businessman Trump était un canular ("a hoax"
). Tel est le principal enseignement du dernier scoop du New York Times
sur les déclarations d'impôts du promoteur-président-candidat : si Trump n'a payé que 750 dollars d'impôt sur le revenu en 2016 et 2017, et rien du tout les dix années précédentes, c'est évidemment parce qu'il a usé de toutes les ressources de l'optimisation fiscale (déduisant son avion privé, et jusqu'à ses frais de coiffeur). Mais c'est surtout parce qu'il a déclaré davantage de pertes que de gains.
Et si le loser
a réussi à se construire une image de winner, c'est grâce à l'émission de téléréalité The Apprentice
, où il tenait le rôle du businessman impitoyable, à coups de "You're fired"
(vous êtes viré). En 2004, l'année précédant la création de l'émission, ses sociétés avaient accusé 90 millions de pertes nettes. Et pourtant, la notoriété construite grâce à cette émission a permis à cet "alter ego fictionnel" du promoteur d'engranger de beaux contrats publicitaires, avec les biscuits Oreo's, ou Domino's pizza. Des contrats payés en authentiques dollars, pas du tout fictionnels. Chapeau l'artiste ! diront ses partisans.
À en juger par l'obstination de Trump, depuis son élection, à refuser la publication de ses déclarations d'impôts, il faut croire qu'il redoutait cette révélation. C'est peut-être même celle qu'il redoutait le plus. Oui, mais elle n'arrivera pas jusqu'aux électeurs de Trump, car publiée par le New York Times
, estimait sur France Culture, ce matin, l'économiste Julia Cagé. Ce n'est pas seulement qu'ils n'y croiront pas. Pas seulement qu'ils seront tiraillés entre deux récits contradictoires. C'est que, même reprise par tous les médias anti-Trump comme CNN, même reprise ironiquement sur des autocollants par la campagne Biden (au prix de 7,50 dollars le pack de deux), l'information ne franchira tout simplement pas leurs bulles de filtre. Si la presse européenne, globalement anti-Trump, se précipite sur le scoop, comme elle s'est précipitée sur tant d'autres depuis quatre ans, cet appétit est inversement proportionnel au degré de perméabilité de l'électorat trumpiste, pour qui c'est le reste du monde, à commencer par les intellectuels européens, qui vit dans une fiction.
Pour autant, rien n'est joué. La fiction politique américaine, depuis 2016, fonctionne comme une machine à tromper les esprits rationnels européens. Peut-être, par on ne sait quel sortilège, le scoop du New York Times
perfusera-t-il tout de même jusqu'aux oreilles trumpistes. Les scénaristes de cette fiction-là nous ont toujours surpris.