Le boulanger de Besançon et son apprenti

Peut-être, dans l'histoire du boulanger de Besançon en grève de la faim depuis aujourd'hui neuf jours pour pouvoir conserver son apprenti guinéen, peut-être des éléments nous échappent-ils. Peut-être la préfète de Haute-Saône (l'apprenti est domicilié en Haute-Saône) a-t-elle connaissance d'éléments que nous ignorons. Peut-être Laye Fodé Traoré (c'est le nom de l'apprenti) est-il fiché S, peut-être a-t-il des antécédents connus des seuls organes sécuritaires, peut-être. On ne sait pas toujours tout, et Stéphane Ravacley pas plus que quiconque (c'est le nom du boulanger, à l'enseigne de la Huche à pain, rue Rivotte, à Besançon). Et pas davantage Raphaël Glucksmann, Omar Sy, Leïla Slimani, Laurent Berger, Marion Cotilllard, et autres personnalités, qui ont signé un appel à Emmanuel Macron.

Ex-mineur isolé, Laye Fodé Traoré, qui vient d'atteindre l'âge de 18 ans, est visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) émise par la préfecture de Haute-Saône qui, selon son avocate, considère que ses documents d'identité ne sont pas authentiques, et a donc refusé de lui délivrer un titre de séjour. Le jeune apprenti a contesté cette OQTF auprès du tribunal administratif de Besançon. Cette requête doit être examinée le 26 janvier. Hier soir, le boulanger Ravacley, au huitième jour de sa grève de la faim (il se nourrit exclusivement de bouillon) a dû être brièvement emmené par les pompiers aux Urgences de Besançon, après être "tombé dans les pommes" au volant de sa voiture, heureusement en stationnement.

Interpellée par la presse le 8 janvier lors d'une visite à Besançon, la ministre du Travail Elisabeth Borne a refusé de se prononcer sur le cas particulier, en raison "de déclarations que le jeune a pu faire, qui sont contestées devant la Justice" (lesquelles ? Est-il, en réalité, âgé de 19, voire 20 ans ? Elle n'en a rien dit).  Elle a, en revanche, reconnu, sur un plan général, qu'un jeune migrant isolé, formé en France à un métier en mal de vocations (c'est le cas de la boulangerie), devrait avoir la possibilité, à sa majorité, de rester en France. Et la vocation du jeune Guinéen pour la boulangerie ne semble faire aucun doute, à en croire son patron, sur le plateau de Hanouna.

Je recherche des éléments sur Fabienne Balussou (c'est le nom de la préfète de Haute-Saône), à la recherche de ce qui pourrait signaler "une préfète à poigne". Je n'en trouve guère. Elle a dû décaler d'un jour sa prise de fonction, en raison de la foire de la Sainte-Catherine à Vesoul. Elle en a profité pour, incognito, voir Vesoul, qu'elle avait toujours voulu voir (pardon). Elle a déclaré à L'Est Républicainvouloir incarner "une autorité bienveillante". L'Est Républicain, qui a enquête dans le Val de Marne (le précédent poste de Fabienne Balussou) explique qu'on y regrette "ses qualités humaines".

Le compte Twitter de Fabienne Balussou ne m'en apprend pas davantage. Elle fait son travail de préfète. Elle met en garde les automobilistes contre les chutes de neige. Elle visite la Banque Alimentaire. Elle visite les entreprises bénéficiaires du plan de relance gouvernemental. Il n'y a qu'un oubli dans cet emploi du temps de cette bienveillante préfète : cet oubli s'appelle Stéphane Ravacley, boulanger à l'enseigne de la Huche à Pain, rue Rivotte, à Besançon, et son apprenti Laye Fodé Traoré. 

Et les médias, dans l'histoire ?  Au premier rang de l'alerte, on trouve Brut, L'Obs, et Hanouna. En revanche, je ne vois aucune mention du cas du boulanger de Besançon sur le trio infernal des chaînes d'info LCI-BFM-CNews, la première nommée étant toute secouée ce matin par l'expulsion brutale  d'Alain Finkielkraut de l'émission de Pujadas. Disons que si même ce cas sur-exemplaire, qui a tout pour saisir de compassion l'opinion publique (conscience professionnelle, héros du quotidien, bon pain) ne suffit pas à atteindre l'oreille de ces chaînes et du pouvoir, cela rappelle simplement que ces chaînes et ce pouvoir sont sourds d'une oreille, ce dont on se doutait déjà, à vrai dire.