Le blues du Gorafi

Daniel Schneidermann - - Humour - Le matinaute - 114 commentaires

"Démerdez-vous sans nous !" : Le Gorafi a le blues. Le Gorafi est dépassé par la réalité. Il faut dire qu'il y a de quoi. Le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari, nous apprend Le Parisien, a manifesté son intention de décorer de la légion d'honneur les présidents des deux aéroclubs de Poitiers, aéroclubs auxquels la municipalité écologiste vient, pour œuvrer à l'indispensable décroissance de l'aérien, de retirer des subventions de 4000 euros (notre enquête ici). La légion d'honneur ? Seulement ? Il faudrait aller plus loin. Une subvention à vie ? Une souscription nationale, afin de leur ériger un monument ? Le Gorafi a bien tenté une blague, en tweetant que "Jean Castex propose la légion d'honneur pour Jean-Baptiste Djebbari, qui propose la légion d'honneur pour les présidents des aéroclubs de Poitiers", mais on les sent bien dépassés.

On comprend la lassitude du Gorafi. De fait, analyse Frédéric Lordon dans une chronique pénétrante, le gorafique est le fait majeur de notre temps. Regardons autour de nous. Tout n'est plus que Gorafi. Et il nous fait jouer : chacune des informations ci-dessous, Gorafi, ou réalité ?

Il est vrai que, depuis un an, le contexte est gorafique. La casquette du préfet Lallement est gorafique. Le pangolin est gorafique. Les jours heureux de Macron sont gorafiques. Le vaccin AstraZeneca, que l'on recommande en boucle aux jeunes, puis aux vieux, puis aux jeunes, puis aux vieux, jours pairs jours impairs, est gorafique. La lancinante répétition matinale de la phrase codée, façon "Les carottes sont cuites", "le rapport bénéficie-risque reste positif" est gorafique. Et l'actualité secrète des personnages gorafiques. On croyait avoir touché le sommet avec Benalla. Alors apparut Chalençon, son chapeau de Napoléon, et son "poisson d'avril".

Formés dans les meilleures écoles à traiter une matière pré-gorafique, les journalistes ayant connu le monde pré-gorafique sont pris au dépourvu. Comment évoquer avec une apparence de sérieux un discours politique gorafisé ? Faute d'autre solution, ils s'arc-boutent sur le monde d'avant, et pratiquent le déni. Le Monde consacre ainsi ce matin tout un article à l'ultra-gorafique Jean-Michel Blanquer ("Les écoles ne fermeront pas, nous sommes prêts, notre protocole sanitaire est le meilleur du monde, Emmanuel Macron est un grand épidémiologiste, les attaques proviennent de l'étranger" etc), mais sans une seule allusion à sa dimension gorafique, en affectant de le prendre au sérieux.  La matinale de France Inter, elle, a choisi de confier systématiquement les sujets ultra-gorafiques du jour à l'humoriste Charline Vanhoenacker, pour que le chroniqueur politique Thomas Legrand puisse entretenir la fiction d'une vie politique pré-gorafique. Combien de temps cela pourra-t-il tenir ?

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