Langue de bois à la Royal
Daniel Schneidermann - - Alternatives - Le matinaute - 20 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Qu'est-ce qui sépare la langue de bois anesthésiante (mauvaise)
, de la (nécessaire) complexité d'un discours politique traitant de questions complexes ? Parfois pas grand chose. Alors Madame Royal, combien de réacteurs nucléaires va-t-on fermer ? demandent les journalistes de France Info à la ministre de l'environnement. Combien ? Quelle question mesquine ! Ah non, la ministre ne va pas se laisser enfermer dans une question "obsessionnelle", dictée par les "idéologues". On fermera des réacteurs quand les énergies renouvelables seront prêtes à prendre le relais, point final. "Je ne vais pas couper l'électricité aux Français pour donner satisfaction à des idéologues anti-nucléaires à tout crin". Soit. Passons au dossier suivant : Notre Dame des Landes. Madame Royal, pour ou contre le nouvel aéroport ?
Pour ou contre, c'est une question simple, appelant une réponse simple : oui ou non. Ou à la limite "je ne sais pas". Je ne sais pas, parce que je n'ai pas d'opinion, parce que je n'ai pas eu le temps de travailler le dossier avec le boulot que j'ai par ailleurs, parce qu'il y a du pour et du contre, oulala. Mais là encore, peine perdue. Ce ne sera ni l'une, ni l'autre, ni la troisième réponse. Attention, reprenez du café et retenez votre souffle : "La question de Notre Dame des Landes s'inscrit dans une problématique globale : celle de la démocratisation du dialogue environnemental". Autrement dit, élevez donc le débat, journalistes mesquins, accrochés à votre petit bout de la lorgnette !
Ce que Royal appelle "la démocratisation du dialogue environnemental" est un vaste chantier, entrepris au lendemain de la mort de Rémi Fraisse à Sivens, et qui vise à permettre aux opposants de contester légalement des grands projets nuisibles à l'environnement. Un vaste chantier technocratique, qui se poursuit dans une totale indifférence médiatique. Voilà qui pourrait, après tout, justifier la dérobade de Royal : élevons-nous au-dessus de l'événement vulgaire, et profitons-en pour en tirer des conclusions générales. Sortons par le haut.
Sauf que voilà. A lire attentivement cet article du Monde, un des seuls à s'être penchés sur la question, ce grand chantier de la "démocratisation du dialogue environnemental", cet immense chantier, souffre de quelques lacunes, dont celles-ci (hélas non relevées par les journalistes de France Info) : les nouvelles dispositions hautement démocratiques ne s'appliqueraient ni dans le cas du barrage de Sivens (pour cause de financement public insuffisant), ni... dans celui de Notre Dame des Landes (projet d'intérêt national, exclu du champ des nouvelles dispositions). Sauf à imaginer que Royal ignorait ces lacunes (mais est-ce imaginable ?) il faut bien en conclure qu'elle s'est précipitée dans une petite échappatoire politicienne, une de celles qui sont de nature à redonner-aux-citoyens-confiance-en-la-politique.