Lampedusa : l'épouvantable douche
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 131 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
C'est le premier titre du 20 Heures de Pujadas. Les migrants subissent de "mauvais traitements" à Lampedusa.
L'UE dénonce "des scènes épouvantables". L'Italie "se défend mais promet une enquête". Le premier titre avant la pollution aux particules fines, avant la Centrafrique, avant la tension sino-japonaise, avant même la face cachée des icebergs et la mode des appareils dentaires, c'est dire. Ce n'est pas un rapport, qui accuse. C'est une séquence filmée. On va voir ce qu'on va voir.
Que voit-on ? Un migrant, debout, flouté écartant les bras comme un passager qui subit un contrôle au détecteur dans un aéroport, subit une douche de désinfection. Un autre, nu (et tout aussi flouté) se rhabille. La scène se déroule devant un petit groupe d'hommes. Elle pourrait paraître ni plus ou moins dégradante qu'un conseil de révision, tel que l'ont subi des générations de Français, tout au long du dernier siècle. Mais le correspondant de France 2 à Rome, qui commente la séquence, ne s'y laisse pas prendre. "Entourée de grillages, cette vidéo n'aurait jamais dû sortir du centre pour réfugiés de Lampedusa. Une douche nus et en plein air pour les nouveaux arrivants. Une procédure au surnom évocateur : la désinfection. Un agent ganté asperge un migrant. En retrait, d'autres semblent attendre leur tour. Et pour aggraver les choses, un autre agent jette avec mépris en vrac les vêtements des malheureux migrants par terre". Et ce n'est pas tout : le correspondant de France 2 a noté "la présence de femmes. Ici en blanc et en bleu, des infirmières et des assistantes sociales" (à l'image, on voit deux femmes).
C'est tout ? C'est tout. D'où vient alors l'émotion qui conduit des journalistes à se précipiter pour solliciter une réaction de l'UE, le chargé de com' de l'UE à répondre toutes affaires cessantes, d'autres journalistes à diffuser ces images en première place au Journal Télévisé ? Non pas de ce qu'elles montrent, et qui n'a rien de scandaleux (qu'on fasse subir des traitements prophylactiques à l'entrée d'un camp de rétention est même plutôt salutaire) mais de ce qu'elles évoquent. Camp, nudité, douche forcée : pas besoin de faire un dessin. "A l'unisson, l'Italie se dit horrifiée par des pratiques qui lui rappellent des temps abominables" ajoute France 2, frémissante d'indignation, pour le cas où on n'aurait pas compris. "Ca me fait penser à un camp de concentration" assure la maire de Lampedusa dans un bref extrait. Devant ces images anodines, bien moins violentes que bien d'autres, aucune autre conclusion que celle-ci : le pouvoir d'évocation est décidément totalitaire, comme tous les pouvoirs...