Lagasnerie, les inspirés et les effarés
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 197 commentaires
Quel est le point commun de l'éditorialiste de France Inter Thomas Legrand, du directeur adjoint de L'Obs
Pascal Riché, du chef du service politique de France 2 Olivier Siou, du comparse de Zemmour Eric Naulleau ? C'est d'avoir avalé une gorgée de café de travers, en écoutant hier matin le "Grand entretien" de France Inter, et son invité, le sociologue et philosophe Geoffroy de Lagasnerie (reçu chez nous ici). Puis d'avoir tweeté une seconde gorgée de travers, en lisant un peu plus tard que Anne Hidalgo, maire de Paris, et sauveuse potentielle de la gauche à la présidentielle, jugeait cet entretien "inspirant"
.
Quelle partie est "inspirante", @annehidalgo ? L'apologie de l'action directe ? Ou de la pureté ? Ou bien "Le but de la gauche, c'est de produire des fractures" ? Ou "je suis contre le paradigme du débat"? Ou alors "Il faut rétablir une forme de censure dans l'espace public ?" https://t.co/tjm6UIqdO7
— Pascal Riché (@pascalriche) September 30, 2020
On peut s'étonner de l'adhésion de Anne Hidalgo aux théories de Lagasnerie, elle qui a retiré toutes leurs responsabilités aux deux élues EELV Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleux, coupables d'avoir précisément mis en pratique toutes les préconisations de Lagasnerie, en investissant un lieu de pouvoir (le Conseil de Paris) pour en faire exclure un élu, Christophe Girard, soupçonné de complicité avec le pédocriminel présumé Gabriel Matzneff. Mais c'est une question de cohérence qu'il appartient à la sauveuse potentielle de résoudre.
Que dit Lagasnerie, si l'on écoute (je vous le recommande) les 24 minutes de son entretien ? Rien d'autre, à mon sens, que décliner la distinction entre violence visible et BFMisable (les black blocs, par exemple) et la violence sociale (pénibilité du travail, par exemple), ou la violence d'Etat (policière, par exemple), toutes distinctions familières depuis Foucault et Bourdieu. Ces distinctions, Lagasnerie les formule en termes provocateurs, qu'il atténue d'ailleurs aussitôt dès qu'il est interrogé. Quand il parle "d'action directe"
, il se réfère à Cédric Herrou et à la capitaine Carola Rackete, et pas aux assassinats de PDG. Quand il parle de "censurer"
les zemmourisés des chaines d'info, il préconise plutôt un salutaire mépris, selon lui, à exercer à leur encontre. Toutes thèses qui méritent débat (et on en débattra dans notre émission de cette semaine), mais restent parfaitement compatibles avec l'ingestion harmonieuse du café du matin. Mais ce discours est tellement habituellement absent des espaces consensuels comme le "Grand entretien" de France Inter, qu'il est de nature à effarer Legrand, Naulleau et aux autres. Ce qui n'est pas son moindre intérêt.