Lagarde : le ricanement et la griffe
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 36 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Ce n'est qu'un long ricanement, de la Toile aux radios du matin.
Imaginez-vous que Christine Lagarde a écrit à Nicolas Sarkozy, une lettre dans laquelle elle lui fait part de son "immense admiration", et le supplie : "utilise-moi pendant le temps qui te convient". C'est Le Mondequi a publié hier cette lettre (lien abonnés), laquelle s'est hissée ce matin à la première place des articles les plus partagés du site du journal. Hilarité du chroniqueur économique de France Inter Philippe Lefébure. Hilarité d'Elkabbach, qui demande à son invité, Eric Woerth, s'il lui est arrivé d'écrire une telle lettre d'allégeance. Cette Lagarde ! Quelle gourde, tout de même.
A la vérité, on ne sait rien sur cette lettre. Ni à quelle date elle a été écrite. Ni même si Christine Lagarde l'a envoyée à Nicolas Sarkozy. Il ne s'agit peut-être que d'un brouillon, retrouvé dans les tiroirs de l'ancienne ministre, écrit un soir de spleen, comme on griffonne des ronds et des carrés sur de vieux cahiers, en broyant du noir, ou du gris. Mais les juges qui ont perquisitionné le domicile de Lagarde l'ont retrouvée, et elle s'est retrouvée entre les mains des journalistes du Monde qui la publient. Qu'apporte-t-elle ? Rien. Que nous apprend-elle sur la psychologie de Lagarde ? Pas grand chose. Que nous apprend-elle sur l'implication de Lagarde dans l'affaire Tapie ? Rien.
Car il s'agit bien de l'affaire Tapie.Le Monde ne publie pas cette lettre seule. Il la publie dans le cadre d'un copieux et excellent dossier sur l'affaire, signé Fabrice Lhomme et Gérard Davet, dossier dans lequel la manip, menée par la "bande organisée", composée du juge-arbitre Estoup, de l'avocat de Tapie Lantourne, et du directeur de cabinet de Lagarde Stéphane Richard, est dévoilée avec un luxe de détails ébouriffants. On y démontre comment Estoup a rédigé quasiment seul l'arbitrage qui a fait la fortune de Tapie, réduisant les deux autres "arbitres", Bredin et Mazeaud, au rang de figurants de super-luxe. On y apprend notamment (parmi mille autres détails) que Richard aurait profité d'un voyage de sa ministre, pour signer de sa "griffe" un document favorisant cet arbitrage. On y conclut (logiquement) que Sarkozy est désormais au centre de l'enquête (lien abonné). Il faut lire soigneusement tous ces articles, qui n'ont fait aucun buzz hier, dont les radios du matin n'ont pas soufflé mot, et que les internautes n'ont pas cru bon de devoir partager.