La Somalie, dans son tiroir

Daniel Schneidermann - - Silences & censures - Le matinaute - 63 commentaires

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Et Le Media dégaina contre lémédias. Après l'attentat de Mogadiscio, en Somalie

, ayant fait plus de 300 morts, et attibué aux shahab islamistes, Sophia Chikirou, cofondatrice du futur site de l'insoumissphère, (l'écouter ici) fustigea sur Twitter les médias qui n'en parlaient pas, en envoyant aux victimes ses "pensées solidaires". Le Media, lui, en parlerait, des morts de Mogadiscio. On allait voir ce qu'on allait voir.

S'autodésignant porte-parole de lémédia attaqués, Hugo Clément répliquait le soir sur le plateau de Quotidien (TMC/TF1) : mais si, lémédias en ont parlé. A l'appui, un vrai montage de champion, compilant les allusions au carnage dans les journaux radio et télé. Quant aux JT de dimanche soir, sur TF1 et France 2, ils ont montré les images du carnage. Et en ouverture du journal, s'il vous plait. Vous vous rendez compte ? L'ouverture du journal ! Et on se plaint ? De manière plus convaincante, Clément interrogeait ensuite deux grands reporters de la maison mère TF1. Auteurs d'un reportage en Somalie en 2012, ils détaillaient les conditions concrètes de tournage dans le pays, l'obligation de recruter une dizaine de gardes du corps armés, les risques d'enlèvement, etc.

A qui attribuer la palme dans le concours de mauvaise foi ? Les 300 morts de Mogadiscio, Sophia Chikirou s'en préoccupe exactement autant que Hugo Clément, c'est à dire dans l'exacte mesure où cela fournit des armes contre l'adversaire. Mais, ancien reporter du 20 Heures de France 2 (outre ses fonctions d'égérie d'une marque de chemises), Clément est forcément conscient de l'hypocrisie de sa riposte : une minute d'images, même en ouverture d'un journal télévisé, ne sont pas une manière de se sentir quittes avec un sujet dramatique. Une minute d'images de tôles froissées, ça glisse et ça s'oublie. Pour ce qu'on appelle faute de mieux le "système médiatique", traiter un sujet, le traiter vraiment, c'est faire en sorte de l'intégrer à la conversation nationale. Pour une chaîne d'info, c'est casser sa grille habituelle, et convoquer des spécialistes de la zone (et il en existe, même à Paris). Pour un journal écrit, c'est y consacrer sa manchette et ses premières pages. Réflexes naturels quand un attentat frappe un pays voisin de la France, mais pas la lointaine Somalie, si mal dotée par la loi du mort kilométrique -et située, circonstance aggravante, hors de la zone d'influence française en Afrique.

Dimanche soir, TF1 (maison mère, donc, de Barthès et Clément) consacrait plus d'une heure à l'interview d'Emmanuel Macron. Si l'attentat s'était produit à Londres ou Berlin, nul doute que l'interview aurait débuté par une "question d'actualité" sur le sujet, plutôt que par dix minutes d'ergotages sur le vocabulaire présidentiel. Pas un mot ne fut prononcé. OK. Le lundi soir, juste après la démonstration de Clément, Yann Barthès recevait une des intervieweuses maison, Anne-Claire Coudray, pour le désormais traditionnel "débrief" d'après grande émission. Au minimum, une question aurait pu être posée à Coudray sur l'absence de toute question à Macron, la veille, sur l'attentat somalien. Mais non. Le tiroir était refermé.

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