La relation tante-nièce, cette inconnue

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 144 commentaires

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"Ce soir, la gauche est le premier parti de France". On entend ça, de la bouche de Stéphane Le Foll

, porte-parole du gouvernement. Le premier sentiment, en entendant ces mots, n'est pas de la colère, c'est de la pure, sincère, incompréhension. On ne sait pas de quoi il parle. La gauche. Quelle gauche ? Il faut bien deux à trois secondes, avant de réaliser qu'il additionne les voix PS, aux voix écolos et mélenchonniennes. Il les additionne. Sans doute, toutes ces dernières années, a-t-il vécu sur une autre planète. Une planète où le PS aurait abandonné l'inutile projet d'aéroport de Notre Dame des Landes. Une planète où "lagauche" n'aurait pas assigné à résidence des militants écolos. N'aurait pas proposé d'inscrire dans la constitution la déchéance de nationalité pour les bi-nationaux nés en France. N'aurait pas repris à son compte le discours du MEDEF sur la productivité.

Attention : rien ne dit que ce PS-là, un PS qui serait resté fidèle aux "valeurs de la gauche", et n'aurait pas été absorbé par l'orbite idéologique FN, aurait décroché un meilleur score que le score du premier tour des Régionales. Peut-être même au contraire. Mais au moins, comprendrait-on tout de suite Le Foll quand il parle de "lagauche". Sans ces deux ou trois secondes de décalage, comme s'il nous parlait d'une étoile très lointaine, et déjà morte.

Ce retrait du PS des régions gagnables par le FN, c'est peut-être très habile -cela fera porter par la droite la responsabilité des victoires FN-, c'est peut-être très moral, c'est peut-être un magnifique geste sacrificiel, mais Hollande et Valls en ont-ils mesuré la portée symbolique ? La gauche de gouvernement, qui avait déjà disparu idéologiquement, va donc disparaître politiquement. Ce sera progressif. Une sorte d'effacement. Mais si les mots ont un sens, cela s'appelle un suicide.

Bienvenue dans ce nouveau monde où pour tous débats politiques, resteront les débats internes au FN. Car il y en a, et il y en aura de plus en plus. Et s'il n'y en a pas assez, la caste des commentateurs professionnels les inventera. Comment une démocratie vivrait-elle sans débats ? Le débat, c'est le sel de la démocratie. Cela a commencé dimanche soir. Dimanche soir sont apparus les premiers très sérieux éditos d'analyse sur les dissensions tante-nièce, entre celle qui veut la suppression des subventions au Planning Familial, et celle qui explique qu'on a mal compris. Même sur l'économie, parait-il, il y aurait des nuances. Toute la galaxie des commentateurs politiques, toute la Thomalegrandie, va se recycler en sous-titreurs des débats tante-nièce. Il y aura des reportages indiscrets sur les coulisses, les petits chats écrasés par les gros chiens dans le parc des chateaux de famille. Des psychanalystes-experts de la relation tante-nièce prendront le chemin de BFMTV. Des éditeurs commanderont des livres sur la relation tante-nièce, cette inconnue. Apparaitront des spécialistes de la relation compagnon de la tante-mari de la nièce -on n'en parle pas assez, et pourtant c'est très éclairant. L'opposition de gauche sera incarnée par Sarkozy et Estrosi. Juppé sera assigné à résidence. On n'aura pas à se plaindre, c'est ce qu'on aura voulu.

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