La fin du tout / tout de suite
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 129 commentaires
Cet échange, hier sur CNews, entre Laurence Ferrari et Marlène Schiappa. Schiappa est en duplex. Et sous l'image, ce bandeau : "femmes battues, le numéro d'urgence fermé
".
2 minutes incroyables de Mme #Schiappa qui maintient contre toute évidence que le 3919 fonctionne (vérification faite, non), puis se perd dans une logorrhée insensée.
— Marcel Aiphan (@AiphanMarcel) March 18, 2020
Ces gens sont allergiques à la vérité et c’est pourtant la seule chose qu’on demande...#COVID19#COVID2019pic.twitter.com/ESH9A2ERVq
Schiappa : "Enlevez ce bandeau ce n'est pas vrai !"
Ferrari, impeccable journaliste :"Nous avons appelé le 3919 qui nous a confirmé que le service était fermé en raison de la pandémie."
Schiappa : "Nous faisons des transferts techniques avec Orange. Les écoutants sont des êtres humains. Elles sont confinées avec leurs enfants. Nous sommes en train de nous assurer qu'elles soient, quelques heures par jour, dans une pièce fermée avec leurs enfants. Ce numéro est maintenu avec des horaires restreints."
Ferrari : "Quels seront ces horaires pour ce 3919 ?"
Vaincue, Schiappa. Incapable de répondre.
Machinalement, par réflexe, on voudrait donner raison à l'investigatrice Ferrari, et tort au cyborg-langue de bois Schiappa. Dès mardi, des militantes féministes s'exaspéraient sur mon Twitter. Comment donc ? Le 3919 est inaccessible ? En ce moment ? Alors que le confinement, la promiscuité, vont immanquablement multiplier les cas de violences conjugales ? C'est une blague, dîtes, Marlène Schiappa !
Mais que répond Schiappa, si on fait l'effort -rude, c'est vrai- de l'écouter ? Elle dit que derrière le beau numéro ronflant à quatre chiffres, sont des êtres humains, et notamment des femmes, parfois des mères, qui peinent à s'isoler les quelques heures quotidiennes qu'elles pourraient consacrer à l'écoute. Qu'elles sont encore en train, à J+3, de tenter de s'organiser. Quelques jours de patience, est-ce trop demander ?
Oui, à l'autre bout de tous ces services qui nous semblent si naturels, à l'autre extrémité du tout / tout de suite, au bout du fil de nos impatiences, se trouvent des humains invisibles, avec des corps, des familles, des logements, des temps de trajet, des difficultés de confinement semblables, voire souvent bien plus graves, que les nôtres. Derrière la ligne d'urgence du service technique de la banque que je tente désespérément de joindre depuis deux jours, pour pouvoir me connecter au compte du site depuis mon ordinateur de confinement, se trouvent des humains invisibles, hospitalisés peut-être.
Oui, la pizza aux anchois, le livre rare, n'arrivent pas seuls sur leurs petites jambes. Derrière cette commande en ligne que je viens, clic clic, d'effectuer inconsidérément, il y a d'invisibles manutentionnaires que le Géant Américain, comme on dit, ne garantit nullement contre la contamination. Pour maintenir l'activité, il leur a proposé une augmentation du salaire horaire de deux euros. "Un bonbon donné à un enfant pour qu'il reste sage"
analyse un délégué syndical, qui vient d'exercer son droit de retrait, comme plusieurs centaines d'employés d'Amazon, estimant que le virus les met en danger sur leur lieu de travail. Partout, derrière chaque silence, derrière chaque retard, des chaos intimes, qui sont le reflet du nôtre.