Jour de colère : sur une manif "hétéroclite"
Daniel Schneidermann - - Nouveaux medias - Le matinaute - 69 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Hétéroclite : c'est le terme favori des commentateurs institutionnels
, pour résumer cette sainte-alliance de la quenelle, du bonnet rouge et de Versailles, qui a manifesté hier à Paris, sous la banderole du "Jour de colère". Hétéroclite, en effet, en apparence, cette union sacrée contre les impôts, les sionistes, et les homos. Première question pour les medias du système : quelle place lui donner ? Un simple "off" de quelques secondes, comme sur France 2, centré sur les affrontements et les arrestations de fin de manif ? De longs reportages circonstanciés, comme Mediapart, insistant sur les signes extérieurs de néo-nazisme ? Pas de réponse évidente. On peut soutenir que 17 000 personnes (selon la police, 120 000 selon les organisateurs), ce n'est pas grand chose. Et la principale surprise de cette manifestation, convoquée le jour même où ce gouvernement, après tous les autres, avouait sa piteuse défaite contre le chômage, c'est qu'elle se soit au fond retrouvée si peu nombreuse. Au plus fort du mouvement des bonnets rouges et des manifs anti-mariage pour tous, le pouvoir redoutait la "coagulation" des mécontentements. Avec deux mois de retard, elle est faite. Et elle ne rassemble pas grand monde.
Mais elle pourrait grossir. Dans un éditorial à pincettes, Thomas Legrand, de France Inter, stigmatise "l'amplificateur d'Internet", dans la mise sur pied de la manif. Il a raison : sans Facebook, la manif pluvieuse d'hier aurait été inimaginable. Après la page Facebook des soutiens au bijoutier de Nice, c'est un deuxième mouvement social français récemment né de la Toile. Ce caractère hétéroclite fait d'ailleurs étrangement écho, au même moment, à l'insurrection de Kiev, que les commentateurs parisiens aveuglés s'obstinent à appeler "pro-européenne", alors que les reporters sur place en soulignent au contraire les tiraillements grandissants, entre l'opposition insitutionnelle, et la base ultra-nationaliste, et très peu pro-européenne.
Mais "hétéroclite", la manif Jour de colère l'est-elle autant qu'elle le semble ? L'unifiait, d'abord, le ciment commun de l'indifférence, justement, à son apparente étrangeté. Ils sont incompréhensibles, indéchiffrables, incohérents, ils le savent, mais ils ont tout de même choisi de marcher ensemble. Et sur le fond ? L'alliance d'hier ne dessine-t-elle pas, en creux, le portrait du hollandisme ? Des profondeurs d'Internet, ce gouvernement est vu comme le gouvernement des impôts (le ras le bol fiscal), des homos (le mariage pour tous) et du sionisme (l'interdiction par Valls,"lié de manière indéfectible à Israël", des spectacles de Dieudonné). Hétéroclite et minoritaire, peut-être, mais instructive. C'est un hétéroclite à surveiller.