Jacqueline Sauvage : que disent ses procès ?
Daniel Schneidermann - - Silences & censures - Le matinaute - 145 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Soulagement général, après la "remise gracieuse partielle de peine" accordée par Hollande à Jacqueline Sauvage
, condamnée pour meurtre aggravé à dix ans de réclusion, après avoir tiré dans le dos de son mari, maltraitant et violeur. Comme prévu, les JT donnent exclusivement la parole aux filles de la condamnée, premières soulagées. Elles ne sont pas les seules. Dans les jours précédents, Libé a réclamé cette grâce à la Une, et des personnalités aussi diverses que Valérie Pécresse, Jean-Michel Aphatie, Daniel Cohn-Bendit, Jean-Luc Mélenchon ou Annie Duperrey, ont réclamé sa grâce -dont se félicitait encore, lundi matin, Nathalie Baye, venue faire la promo de son dernier film sur France Inter. Des centaines de milliers de pétitionnaires ont formé les gros bataillons.
Et comment n'applaudirait-on pas ? Les Assises n'ayant pas accordé la légitime défense (le tir dans le dos, et quelques minutes de battement entre les derniers coups et le meurtre), le président corrige une inéquité manifeste. A l'inverse, -et aussi comme prévu-, quelques rares critiques inaudibles sourdent du monde de la magistrature, sur le thème de la survivance d'une prérogative monarchique. Entre les deux, la chroniqueuse judiciaire du Monde, Pascale Robert-Diard explique très bien comment la grâce présidentielle a été pesée au milligramme près, pour ne pas désavouer la Justice.
Car la Justice, ce sont tout de même deux jurys populaires successifs (quinze jurés au total), qui ont condamné Jacqueline Sauvage. Et qui, sauf à les imaginer exclusivement constitués de partisans de l'inceste et de la violence conjugale, devaient bien avoir quelques raisons de le faire.
Quelques raisons, mais lesquelles ? Tenter, aujourd'hui, de se documenter sur les deux procès de Jacqueline Sauvage, relève de la haute spéléo dans les tréfonds de Google. Quasi-aucun media national n'a assisté, ni à son premier procès, ni au second. Deux exceptions : le live-tweet de la journaliste de France Inter Corinne Audouin, qui a assisté (seule ?) au second procès, est ici. Et le seul compte-rendu exhaustif débusqué par le matinaute dans les courts délais impartis du premier procès, en 2014 devant les Assises d'Orléans, par les deux journalistes de La République du Centre, est ici. Où l'on peut lire les récits, en effet, de l'interminable martyre infligé à sa famille, des décennies durant, par un tyran domestique. Mais où on lit aussi que le récit du meurtre, par Jacqueline Sauvage, recèle quelques troublantes incohérences. Le drame se situe dans une famille de chasseurs. Monsieur et Madame chassent (Madame tire mieux que Monsieur). Comment des cartouches, entreposées dans la cave, sont-elles montées jusqu'à la chambre de Madame le jour du meurtre ? Lors de ses premiers interrogatoires, elle assure les avoir montées quelques jours plus tôt. Puis (mieux avertie de la circonstance aggravante de préméditation ?) elle assure que les cartouches étaient stockées dans la chambre. Sur la contagion de la brutalité à l'intérieur de la famille, ces compte-rendus sont aussi éloquents, et troublants. Combien de soulagés (ou d'indignés) d'hier soir, combien de pétitionnaires, les ont lus en entier ?
Toute affaire criminelle, dès qu'on s'y plonge, comporte ce type d'insupportables nuances de gris, qui viennent ébranler les faciles certitudes. S'il y a des coupables idéaux, il n'y a pas de victime parfaite. N'en tirons donc pas d'autre conclusion, que le contraste entre l'intensité de la mobilisation, et la pauvreté de l'information disponible.
Màj, 11 h 30 : contrairement à ce qui était indiqué dans la première version de cette chronique, le live-tweet de Corinne Audoin est encore accessible. Merci aux @sinautes qui nous l'ont signalé.