Ibiza, le témoin caché

Daniel Schneidermann - - Déontologie - Le matinaute - 88 commentaires

Ibiza encore ? Oui. C'est le sujet du talk show du jour de la chaîne israélienne i24news, propriété de Patrick Drahi. Et le plateau réuni autour de l'animatrice est unanime : ça vole bas, bien bas. Stéphane Fouks, communicant, vice-président de Havas : "Ibiza aurait besoin d'une bonne campagne de communication. Même quand vous y allez le 31 décembre les gens imaginent que vous êtes dans une rave party, talaboum boum". Sur TF1, le ministre a pareillement expliqué qu'Ibiza l'hiver, "ce n'est pas du tout comme l'été", évidence météorologique également rappelée par les télés. Ce qui désole Fouks, "c'est ce que ça révèle de l'hypocrisie d'une classe politique, qui combat le télétravail, et quand un ministre télétravaille, ça devient un scandale. Il y a des endroits plus faciles à vendre que d'autres, mais c'est à ça qu'on doit penser quand on choisit ses vacances ? La règle c'est d'être joignable. Qu'on télétravaille depuis Bezons ou Ibiza, pour les gens qui vous interviewent c'est pareil. Pour pouvoir s'exprimer avec des journalistes, il faudrait en permanence qu'on soit avec une petite antenne qui nous géolocalise ?" 

Rédacteur en chef politique du JDD ("mon journal", précise l'animatrice, dans un souci de transparence) David Revault d'Allonnes plaide également la maladresse : "En Pologne orientale, il y aurait pas eu de polémique. C'est pas non plus l'île Maurice ou les Seychelles, mais c'est ce qui fait tache". Le rédacteur en chef "politique" prend de la hauteur politique : "Les uns et les autres cherchent à atteindre Macron"

Mais la plus remontée contre l'injustice subie par l'image d'Ibiza est l'écrivaine Abnousse Shalmani. "Tout à Ibiza ne se passe pas dans des boîtes de nuit, il y a des maisons, il y a la campagne à Ibiza. Il y a aussi des lieux de spiritualité à Ibiza. J'ai une amie qui me dit viens, et elle vit avec ses chèvres dans une espèce de gîte depuis cinquante ans". Et d'ailleurs, Ibiza est non seulement rurale, mais connectée : "S'il était parti en France, il aurait risqué de ne pas pouvoir faire de télétravail, l'accès à internet n'est pas présent sur tout le territoire. Dans la Creuse, on aurait dit que le ministre était enfermé dans un gîte rural"Environnement qui pousse au travail : "On imagine qu'il était dans sa cuisine, et qu'il s'est dit «tiens si je faisais un petit protocole comme ça, avec la techno derrière ?» Arrêtons ! On est en train de montrer du doigt un ministre qui a réussi à maintenir l'école ouverte. " Et de désigner les vrais coupables du fiasco sanitaire de la rentrée scolaire : "C'est Olivier Véran et la Haute autorité de santé qui n'ont pas été d'accord comme d'habitude pour pondre un protocole qui rend pas chèvres les enfants, les parents, et le monde entier !" (On se souvient, la presse en a rendu compte, que Blanquer et Véran se sont "clashés" l'un l'autre avant le dernier conseil des ministres.)

Mais pourquoi le ministre est-il allé s'enterrer, en plein hiver, dans un lieu aussi sinistre ? Au cours de ses vacances pénitentes, a-t-il privilégié les "lieux de spiritualité", ou les chèvres ? A-t-il rédigé le protocole "dans sa cuisine" ? Il y aurait bien sur le plateau un témoin de premier ordre : l'animatrice, Anna Cabana. De premier ordre, puisque la journaliste est, comme chacun le sait... la conjointe du ministre, qu'elle vient d'épouser. Chacun le sait, sauf les téléspectateurs. Par pudeur certainement, ou pour maintenir le niveau du débat, ce détail est passé sous silence dans l'émission, aussi bien par elle-même que par ses invités.



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