Hôtel Ardisson : les morts en ont vu d'autres...

Daniel Schneidermann - - Intox & infaux - Médias traditionnels - Le matinaute - 50 commentaires

Gabin, Mitterrand, Lady D. : dans quelques mois, sur France 3, Thierry Ardisson dialoguera avec les grands morts.  Le groupe France Télévisions a dévoilé hier un teaser de deux minutes de l'émission Hôtel du Temps, dont la diffusion devrait démarrer en janvier, si tout va bien. Rien à voir avec une résurrection par l'intelligence artificielle, comme celle que décrivait Thibault Prévost dans sa dernière chronique. Les textes des défunts seront écrits à l'avance, "on s'est basé uniquement sur des propos vraiment tenus", a expliqué Ardisson au Parisien.

Comme d'habitude, le nouveau concept d'Ardisson est pervers, et malaisant. Si ses invités sont des ressuscités, Ardisson se campe lui-même en mort-vivant, ou en vivant-mort, revenu parmi les anges du service public après douze ans dans les enfers de la télé Bolloré. Ardisson malaisant, c'est d'ailleurs un pléonasme. On l'embauche pour ça, et (ne nous mentons pas) on le regarde pour ça. Ce n'est d'ailleurs pas négatif en soi. Il n'est pas interdit à un geste artistique de provoquer un certain malaise.

Malaisant, mais pour quelle raison  exactement ? Parce qu'il aurait dû demander l'accord des familles ? Ardisson assure avoir visionné le pilote sur Jean Gabin avec les enfants de l'acteur. Parce que cette exploitation bas de gamme du "deep fake" entre en collision frontale avec la vertueuse intention affichée, par ailleurs, par le groupe public de lutter contre les intox en ligne ? Mais les spectateurs de Hôtel du Temps sauront exactement ce qu'ils regardent. Et on peut soutenir au contraire que l'émission les familialisera avec la grande supercherie des images fabriquées. 

Parce qu'Ardisson, à 72 ans, est resté le provocateur arrogant préféré du Système ? "J'avais interviewé tout le monde, il me restait l'autre monde" explique-t-il. Ou encore : "Son seul défaut, c'est que l'émission est très service public. Pas chiante, peut-être trop pédagogique, avec beaucoup de contenu. Du coup, ils souhaitent débuter avec Coluche et Dalida, plus grand public. Quand ils m'ont dit ça, j'ai eu un choc. C'est le mythe de Sisyphe. Une fois arrivé en haut, on me demande d'aller encore plus haut. Mais je les comprends." En sus d'être malaisant, Ardisson est arrogant, mais on le savait aussi.

Sans doute, Hôtel du temps est-il malaisant, délicieusement malaisant (Amazon et Netflix ont retoqué le projet)  parce que l'émission, faisant parler les morts, parlant avec les morts, parle donc de la mort. Aux accents du Cold song de Purcell, revisité par Klaus Nomi, un revenant de chez Bolloré vient perturber le repos éternel de nos idoles. Abolissant, comme le Sixième sens de Shyamalan, la frontière sacrée, Hôtel du temps entraîne mine de rien vers la tombe où nous attendent nos grands morts, les vivants que nous croyons être. Quant aux morts, les vrais, calmons-nous. De rediff massacrée en hommage-récup obscène, les morts en ont vu d'autres, à la télévision.


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