Homeland, fiction de compagnie

Daniel Schneidermann - - Fictions - Le matinaute - 13 commentaires

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Pour ceux -c'est mon cas- qui ne se sont vraiment plongés dans Homeland que très récemment

, et ont alors commencé par le commencement, la toute première saison, le saut temporel est vertigineux. Comme c'est loin, Ben Laden, le 11 Septembre, et la crainte des cellules dormantes sur le territoire américain ! Comme nous étions jeunes, quand se saisirent de nous ces angoisses inédites, quand débuta cette néo-guerre de cent ans, dans laquelle nous n'avons cessé depuis lors de nous enfoncer. Impression de regarder un documentaire historique, des images d'archives, des problématiques refroidies, étroitement étazuniennes.

On peut faire l'expérience, hétérodoxe, de passer sans transition de la première à la cinquième saison, la dernière, actuellement en cours de diffusion. Soudain, on est plongés en pleine actualité. Et peut-être même dans notre futur proche. On est au coeur de nos angoisses d'aujourd'hui, Daech, ses convertis, ses kamikazes, ses alertes chimiques, et l'état d'urgence, et les assignations à résidence des opposants, et la panique gesticulatoire des dirigeants qui ne dirigent plus rien, et tiens, pour napper l'ensemble, une pincée de Snowden. On est dans la mise en mots, dans la mise en scénario, des bulletins d'information quotidiens, qui ressemblent de plus en plus à des communiqués de la police. De Daech à Snowden, la cinquième saison semble faire écho si précisément aux informations quotidiennes, qu'on se demande si les épisodes ne sont pas tournés en temps réel. Ce qui est d'ailleurs presque le cas : le tournage s'est achevé au lendemain du 13 novembre, et d'ultimes ajustements ont été faits en post-production, pour faire tenir encore mieux la colle avec le réel. Et la série, avec ses meurtres, ses traques, ses trahisons, en acquiert un pouvoir étrangement apaisant. Comme si elle remettait de la cohérence dans notre chaotique bipolarité intime : il est donc possible de penser ce qui nous arrive, puisque des scénaristes y sont parvenus, puisque des comédiens le jouent, les mêmes de saison en saison, puisque Carrie Mathison, au final, triomphe toujours de son seul véritable ennemi, sa propre bipolarité. Puisque cette histoire nous mènera donc quelque part, même si on ne sait pas où.

Peut-on tourner une fiction de guerre, produite dans un pays belligérant, sans en faire un outil de propagande de guerre, ou de dénonciation de la guerre ? C'est sur cette crète, que parvient à se tenir Homeland, et cette seule réussite nous suggérerait d'ailleurs que ce n'est pas une vraie guerre que celle que nous vivons, puisque cette mise à distance est possible, autorisée, en temps réel. De tout ceci, de l'étrange nature de cette fiction de compagnie, comme on parle d'un animal de compagnie, nous discuterons sur le plateau de notre émission de la semaine, avec la philosophe Sandra Laugier et la chercheuse Pauline Blistène, en ligne ce soir, comme d'habitude. A tout à l'heure.

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