Hollande : lapsus dans les tweets
Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 118 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Il y a des scènes auxquelles on aurait tellement aimé assister.
J'aurais tellement aimé voir la tête de François Hollande, quand un conseiller est venu lui glisser à l'oreille que son tweet ne passait pas. C'était pourtant un tweet ciselé. Avec référence à l'homophobie, et tout et tout. Le twittos avait entendu la première vague de critiques, justement sur l'absence de références à l'homophobie dans les toutes premières réactions officielles, il en tenait compte, il rectifiait le tir.
Il a dû être tellement, étonné, le président du mariage pour tous, quand un conseiller est venu lui dire que ça bardait sur les réseaux sociaux. "Mais enfin, ils ne veulent pas avoir le choix ?" "Non Monsieur le président. Ils disent qu'on ne choisit pas." Peut-être, une fraction de seconde, s'est-il intérieurement rebellé contre l'injustice : "le mariage, ça ne leur a pas suffi ?" Mais on n'a pas de preuve.
Permettre à chacun de choisir son orientation sexuelle, ça part d'un bon sentiment, pourtant. Exactement comme, tiens, le dialogue social, par exemple. Ce serait tellement cool, que patrons et salariés dialoguent partout, harmonieusement, dans l'intérêt général. Au lit, pareil. François Hollande aimerait tellement donner, social-démocratiquement, à la scandinave, le choix à tout le monde. D'égal à égal, entre le sujet et les possibles qui s'offrent à lui. Alors, que préfères-tu ? Hétéro ? Homo ? Bi ? En alternance ? Fenêtre ou couloir ?
Il a pourtant dû en lire, des fiches, pendant tout le débat sur la loi Taubira. Il faut croire qu'il a dû en sauter une. La fiche "origines de l'homosexualité". Ce que c'est, de rater les premières leçons, en se disant qu'on rattrapera plus tard. Donc, il a fallu retirer le tweet, et le remplacer par une seconde version :
Décidément, ces gays, quelle source d'embrouilles. Au moins, avec l'islamisme, pour les communiqués, on a fini par intérioriser les gaffes à ne pas commettre. Ne pas confondre islam et islamisme. Ne pas faire d'amalgames. Promettre la fermeté. Parler de "nos compatriotes musulmans". Mais les gays. Jamais contents. Le plus simple, le premier réflexe, c'est donc de ne pas en parler. De faire comme si on ne s'était aperçus de rien. Comme si l'assassin d'Orlando avait visé "le peuple américain" en général. Comme ils l'ont tous fait dans un premier temps.
Mais voilà, ça ne va pas non plus. Evidemment. "Ils disent qu'on les invisibilise, Monsieur le président". On connait la suite.
A la vérité, toute parole invisibilise toujours. Nommer, c'est choisir. Prenons encore la tuerie de la nuit, celle des Yvelines. Comment nommer les deux victimes ? Un policier et sa compagne ? Deux policiers ? Deux parents policiers ? Pas facile, de désigner de la manière la plus juste possible. Montrer, c'est invisibiliser tout ce que l'on ne montre pas, tout ce qu'on laisse dans le hors-champ, hors du halo de lumière. Mais quand cette invisibilisation est convergente, collective, quand toute l'élite politique du pays invisibilise le même objet, alors c'est l'invisibilisation elle-même, qui devient survisibilisée.