Haïti : urgence, transmettre

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 98 commentaires

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Une catastrophe majeure, comme semble l'être le tremblement de terre en Haïti, ramène fissa le matinaute aux réflexes reptiliens de sa condition de journaliste : d'abord, transmettre.

D'urgence, transmettre. Transmettre le premier ? Oui, pour les acharnés de la compétition, ou les âpres au gain. Mais surtout, pour tous les autres, transmettre le plus vite possible. Transmettre avant d'expliquer. Transmettre avant même de penser à expliquer. Transmettre, pour que le monde voie. J'imagine Carel Pedre, journaliste haïtien, dont les photos, envoyées par Twitter, ont été parmi les premières à dire l'ampleur de la catastrophe, je l'imagine dévoré par ce souci de transmettre, et pensant néanmoins à poser cette condition à tous les médias utilisateurs : utilisez ce que vous voudrez, comme vous voudrez, mais signez-les de mon nom !

Choisir, vient immédiatement derrière. Car très vite, les clichés se bousculent. Choisir celui que l'on transmettra avant les autres et, si l'on est à l'autre bout de la chaîne, celui que l'on mettra en avant, celui qui fera la Une. Par réflexe encore, on choisit le palais présidentiel ravagé par le séïsme, sur le mode avant-après, tel qu'il a été envoyé par l'AFP, et publié à l'aube dans un diaporama du Parisien.

Pourquoi cet avant-après ? Parce qu'elle dit bien des choses, cette photo de droite, que l'on n'a pas forcément le loisir de se formuler à soi-même, avant de choisir. Parce que la photo d'un palais présidentiel ravagé, un peu moins que les masures, mais ravagé tout de même, est exceptionnelle, bien plus rare que l'imagerie habituelle du tremblement de terre : le rescapé hagard, blanc de poussière, sorti des décombres. Parce qu'on l'a déjà vu, aussi, ce palais, pour peu que l'on suive depuis quelque temps la saga haïtienne, des Duvallier à Aristide. Et enfin parce que cette photo dit une dernière chose (vraie ou fausse, on verra bien ensuite) : dans ce pays, même la présidence de la République n'a pas les moyens de construire aux normes anti-sismiques.

D'où vient-elle, cette passion de transmettre, de montrer ? Ce serait à chaque journaliste de répondre, sur le divan, dans le secret d'un cabinet. En tout cas, elle survit à tout. A la démonstration si fréquente de son inutilité. A l'indifférence structurelle du monde, ce mammouth à cul de plomb, qui parfois, quelle victoire ! soulève seulement sa lourde paupière. Elle survit à tout, et tant mieux. Quelle tristesse simplement, qu'il faille un séïsme, un tsunami, un raz de marée, pour que le journalisme retrouve épisodiquement sa nécessité ensevelie.

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