Genou à terre contre bible en main

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 73 commentaires

Et au sixième jour, Trump trouva la réplique. Cette mini-randonnée pédestre dans un Washington insurgé, célébrée en live par Fox News, jusqu'à l'église épiscopalienne voisine Saint-John, dont la cave fut brièvement incendiée quelques heures plus tôt. Et cette pose martiale devant l'église, bible en main, à la missionnaire, même s'il a fallu pour la photo asperger de gaz au poivre des manifestants pacifiques, afin de libérer le chemin. Réplique efficace, que la réprobation immédiate de l'évêque épiscopal de Washington n'empêchera pas Trump de recycler dans ses spots de campagne.

Il fallait inventer d'urgence une réplique visuelle à cette stupéfiante image du genou en terre, qui s'est répandue parmi les policiers. Sur tout le territoire américain, cette image empruntant confusément à la solennité des cathédrales et à l'adoubement des chevaliers, avec rebond moderne par les stades rebelles, grâce à Colin Kaepernick, ancien quarterback des San Francisco 49ers. Humilité. Repentance. Pardon. Sidérante, cette image du genou en terre -jusqu'au candidat démocrate Biden- mais que dit-elle vraiment des polices américaines, et des fractures souterraines qui les parcourent ? Les Robocops ont-ils renoncé à la fonction systémique de toutes les polices, protéger l'ordre économique, social et racial ?

Et si c'étaient les mêmes qui pliaient le genou et visaient délibérément les journalistes ? "Dans plusieurs villes américainesdit la militante française Sihame Assbague, les manifestants ont été nassés et gazés moins de 15 minutes après ces "gestes de solidarité", et souvent par ces mêmes policiers". Sont-ce les mêmes ? De fait, c'est bien le même Joe Biden, qui un instant pose genou en terre, et l'instant suivant propose à la police, en guise de solution, de tirer plutôt dans les jambes que dans la tête. La vérité, c'est que nous ne connaissons pas encore assez cette société surexposée, surmédiatisée, sur-filmée, pour comprendre exactement ce qui, souterrainement, s'y joue.

Admettons que ce soit peut-être, pour certains, les mêmes. Cela ne retire rien à la sincérité du geste.  Cela ne retire rien au fait que tout système de domination peut chanceler. Cela ne retire rien au fait que certains de ces policiers ont peut-être, sûrement, des frères, des soeurs, des amis, parmi les millions d'Américains tombés brutalement au chômage à la suite de la pandémie - et est-ce vraiment un hasard si l'embrasement survient au cours de cette vague de chômage ? Comme dit Mélenchon, l'Histoire ne ferme jamais boutique. 


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