France 2 : qui est la taupe de Bolloré ?
Daniel Schneidermann - - Silences & censures - Le matinaute - 41 commentaires
Avis de coup de vent sur la télévision publique. Produit par Médiapart et le producteur Premières lignes, le film Media Crash (en salles le 16 février, et que j'ai eu le privilège de voir en avant-première) lâche une série de petites bombes sur les pressions exercées par l'argent sur l'investigation télévisée. Il a déjà connu une première conséquence : une enquête interne est lancée à France Télévisions, à la demande de la société des journalistes, sur la fuite, au bénéfice de Vincent Bolloré, du contenu de l'émission Complément d'enquête qui lui était consacrée le 7 avril 2016. Cette enquête révélait les désastreuses conditions de travail, au Cameroun (image-choc des gants troués), des employés d'une plantation exploitée par un sous-traitant de Bolloré. À la suite de cette émission, Bolloré avait déchaîné contre France Télévisions une véritable artillerie de procès-bâillon. Il a jusqu'ici perdu tous ses procès. Nous-mêmes avons consacré à l'affaire d'innombrables articles et émissions.
Or on apprend dans Media Crashque Bolloré avait été averti, en amont, d'une partie (pas de la totalité) du contenu de l'enquête. Par qui ? Par un texto du communicant de Lagardère, Ramzi Khiroun. Un texto par ailleurs plutôt lénifiant : " Rien de tendu dans le Bolloré,écrit Khiroun. Une séquence sur les plantations au Cameroun avec la mise en cause du responsable d’exploitation, pas de Bolloré directement. Comment il [Bolloré] a essayé de la faire à l’envers à Bouygues, comment il a mis la main sur Havas, beaucoup de ses amis parlent. Le nettoyage chez Canal. Grosse séquence à la fin sur la Guinée. Comment Bolloré aide Alpha Condé à sa réélection pour se développer dans le pays. Bises."
Dans les jours précédant la diffusion de l'enquête, Khiroun s'était beaucoup agité en coulisses, laissant croire à Bolloré qu'il était en mesure de faire modifier le documentaire. Dans une conversation téléphonique, il avait proposé (sans suite) à Bolloré de le mettre en contact avec Stéphane Sitbon, directeur de cabinet de la présidente de France Télévisions Delphine Ernotte. Bolloré avait décliné. Note comique : dans cette même conversation, Bolloré reconnaissait que toutes les révélations de Complément d'enquête étaient "au dessous de la réalité"
. Je n'insiste pas, nous reviendrons sur ce film, particulièrement opportun en ces temps de zemmourisation, alors que l'emprise de Vincent Bolloré sur les médias révèle toute sa toxicité.
Reste une question : qui donc, en interne, a "balancé" à Khiroun le contenu de l'émission, lui permettant d'en informer (partiellement) Bolloré ? Un membre de la chaîne hiérarchique de France Télévisions, qui comprenait à l'époque une directrice des magazines, Dominique Tierce, et un directeur de l'information, Michel Field (par ailleurs ancien de la radio de Lagardère Europe 1, où il avait croisé Khiroun) ? S'ils admettent tous deux avoir visionné l'émission avant diffusion, comme c'était leur rôle, ils démentent formellement. Sitbon, pour sa part, assure n'avoir pas visionné l'émission. Si la direction de France Télévisions souhaite véritablement enquêter sur cette fuite, elle a les moyens techniques de le faire. Ce sera un excellent test du désir de la télé publique d'enquêter sur sa propre porosité face au pouvoir de l'argent, dans un contexte où le candidat-lige de Bolloré à la présidentielle, Éric Zemmour, annonce son intention de privatiser France 2.
À leur invitation, j'aurai le plaisir de débattre de ce film avec ses auteurs, Valentine Oberti et Luc Hermann, le 16 février à 20 h 45, au cinéma L'espace Saint Michel, à Paris.