FN : diable, diablesses et diablotins

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 97 commentaires

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Ne m'appelez pas Madame, appelez-moi Mademoiselle. Elle débute, Clara Dupont-Monod, sur France Inter.

Elle ne connait pas encore toutes les impasses, dans l'art d'interviewer ce diable endimanché, qu'est un dirigeant frontiste. Elle ne sait pas que le rappel des dérapages du père, ou les évocations du Mussolini, ça ne marche pas en 2013 avec Laurent Lopez, vainqueur de la cantonale de Brignoles. Pas plus que de lui faire remarquer qu'il est endimanché -en traduction Dupont-Monod, ça donne cette question ingénue : "représentez-vous le FN fréquentable ?" Elle ne sait pas qu'un dirigeant FN est une savonnette, qu'il a réponse à tout, que n'importe quelle paire de gros sabots d'intervieweur est immédiatement re-balancée à son propriétaire. Elle cherche à toute force des trucs, des répliques, des victoires. Et elle laisse passer les points qu'elle pourrait marquer. Elle fait remarquer à Lopez qu'élu éventuellement maire de Brignoles, il sera donc cumulard, mais ne lui demande pas s'il démissionnera alors d'un de ses deux mandats. Elle pose sa voix sur le rôle de la bobo parisienne contre la France profonde, rôle créé sur la même scène par Pascale Clark, mais elle ne maitrise pas encore l'improvisation diabolique. Et ça donne cette réplique à l'autre, qui la bombarde de "Madame". "Pas Madame, Mademoiselle". Alors l'autre endimanché, au téléphone depuis Brignoles : "je veux bien y consentir". Comme le diable est galant homme !

Outre qu'il est galant homme, le diable a un "regard noisette". C'est une consoeur du Monde, Raphaëlle Bacqué, qui le décrivait ainsi, dans un reportage de la semaine dernière. Qu'il est craquant, ce diable, avec son "regard noisette". A la différence de Dupont-Monod, Bacqué, on le sent, n'a pas convoqué devant le candidat les vieux fantômes lepénistes. Elle a, elle, les deux pieds en 2013. Elle est dans le post-lepénisme. Si un jour le FN devait arriver au pouvoir, on sent bien qu'elle continuerait d'effectuer son métier comme avant, d'éclairer les coulisses de l'Enfer, de révéler les petits secrets des diablesses et des diablotins, comme si de rien n'était.

Mais alors, que veux-tu, matinaute ? Comment traiter le sujet, si la diabolisation ne fonctionne pas davantage que la banalisation ? Brandir des gousses d'ail à la face du diable ne te convient pas, pas davantage que de cajoler l'endimanché. Soit. Mais alors ? Alors le matinaute n'a pas de potion magique. Pas d'autre recette que celle-ci : rien n'oblige à traiter d'une cantonale partielle comme s'il s'agissait d'éléctions générales. Rien n'oblige les chaînes d'info continue à tenir la France en haleine à 20 Heures, rien n'oblige les 20 Heures à ouvrir sur une cantonale partielle du Var, ni les radios du lendemain matin à inviter le vainqueur. Rien n'oblige les journalistes parisiens à écarquiller leurs yeux d'amnésiques devant cette stupéfiante nouveauté : on vote FN en PACA. Un traitement moins hystérique de cette zone érogène de la politique française qu'est le lepénisme n'éliminerait certes pas la difficulté. Mais il la cantonnerait.

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