Femmes

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 87 commentaires

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Lagarde, interrogée par Pujadas, pour savoir si l'on peut être en même temps

candidate à la direction générale du FMI, et ministre de l'Economie: "les femmes savent faire deux choses à la fois". Ockrent, interrogée par Pascale Clark, pour savoir qui lui a conseillé de démissionner enfin de l'Audiovisuel Extérieur de la France, après un long feuilleton insensé (pardon, de prendre-acte-d'une-révocation-déguisée): "parce qu'une femme, ça ne peut pas penser toute seule, c'est ça ?" Fabius enfin, soutenant Aubry pour mieux enfoncer Hollande: "elle serait la première femme présidente de la République".

Trois personnages de pouvoir, qui se trouvent être des femmes. Et trois fois en deux jours, la même transmutation de leur identité sexuelle en argument de vente, en élément de langage. Pathétique victimisation, qui donne envie de hurler. Quand Lagarde affirme que sa traduction en Cour de Justice de la République ne la handicaperait pas particulièrement au FMI, cette énormité n'est pas moins énorme parce qu'elle est proférée par une femme. On peut être une femme et être en conflit d'intérêt, on peut être une femme et avoir commis des abus de pouvoir, on peut être une candidate nulle, une dirigeante nulle, une présidente nulle. Il est probable que le nombre de nuls exerçant de hautes fonctions est sans doute plus élevé chez les titulaires mâles. Mais sur la proportion, ça se discute. Il faudrait faire des statistiques. On le soufflera à l'INSEE.

Oui, mais voilà. Nous nous trouvons dans ce moment paradoxal, où l'affaire DSK projette en pleine lumière la mentalité archaïque, encrassée, de mâles bourgeois dominants, qui cimente une partie de la classe politico-médiatique. Y compris chez des femmes de pouvoir, elle déterre brutalement des vestiges insoupçonnés de découragement ou de lassitude (je pense à Hélène Jouan, ancienne directrice de la rédaction de France Inter, avouant l'autre soir sur France 2 qu'elle avait failli abandonner le journalisme, après s'être heurtée à la gauloiserie, à la truculence, au goût tellement français de la séduction, de tous les plaisirs de la vie, de députés trop doués pour le bonheur, et venant toquer à sa porte, la nuit, lors des universités d'été d'un parti politique, tiens lequel ?) Nous nous trouvons dans ce moment, où la condition de femme est à la fois un handicap encore insurmontable, et un élément de langage, aussi insupportable que les autres. Ce à la fois, il ne faudrait jamais le perdre de vue.

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