Faut-il décoder le pipigate ?

Daniel Schneidermann - - Intox & infaux - Le matinaute - 46 commentaires

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Dernier épisode en date de la pré-campagne présidentielle pour l'élection du futur maitre du monde :

Donald Trump a moqué la pause-toilettes de Hillary Clinton, dans le dernier débat démocrate. Comment ? Vous n'avez pas suivi ? Après la pause de pub, Clinton est revenue en retard sur le plateau. Et ce n'était pas la première fois. Lors du premier débat, interrogée par l'animateur, elle avait simplement répondu"ça me prend un peu plus de temps. C'est tout ce que je peux dire". Heureusement, cette fois, prenant acte de l'ampleur que pouvait prendre le "pipigate" sur les réseaux sociaux, le New York Times a enquêté sur les raisons profondes du retard de Clinton : elle n'en est pas responsable. Les toilettes pour femmes sont situées plus loin de la salle de débat que les toilettes pour hommes (les aides de camp de Clinton avaient chronométré le trajet avant le débat, mais aucune autre solution n'était possible). Mais alors, pourquoi Clinton n'a-t-elle pas mis en cause le sexisme de l'aménagement intérieur de ce lieu de débat ?

C'est sur ces notes délicieuses que se termine l'année 2015. S'il fallait tenter, dans le brouillard, d'en distinguer une dominante, on pourrait dire qu'elle rend humble sur le journalisme, dans ce qu'il a (ou devrait avoir) de plus nécessaire : l'enquête sur les faits. Le journalisme n'a pas empêché Donald Trump d'être toujours en tête de la primaire républicaine. Trump a forcé la porte. Les medias américains qui le plaçaient d'abord en rubrique people, ont été obligés de l'admettre dans les pages politiques. Il va bien falloir se résoudre à l'admettre : les électeurs américains républicains veulent Trump, de la même manière que de plus en plus d'électeurs français veulent Le Pen.

Et il est très peu vraisemblable que les enquêtes du New York Times y changent quoi que ce soit. Les sondés qui se prononcent pour Trump ne veulent pas d'un Trump propre et respectueux. Ils veulent Trump tel qu'il est, un Trump qui lance que Clinton s'est fait "baiser" par Obama en 2008. Ce n'est pas seulement un clown macho et raciste, qui fait la course en tête chez les Républicains, mais un clown conspirationniste, qui s'appuie sur des sondages conspirationnistes, et participe à des émissions conspirationnistes.

Est-ce pour cette raison que la rubrique Fact-checking du Washington Post a décidé de faire une pause, le temps de réfléchir aux moyens d'une plus grande effcacité ? Les journalistes de cette rubrique ont-ils pris conscience de leur inefficacité à contrer Trump ? "Les personnes qui partagent les rumeurs en ligne ne sont guère intéressées par leur véracité mais partagent celles qui semblent les plus proches de leur perception du monde" explique la responsable de la rubrique, Caitlin Dewey. C'est vrai. Ne savent que ceux qui veulent savoir. Ne sont informés que ceux qui souhaitent s'informer. C'est vieux comme l'information. Est-ce une raison pour baisser les bras ? C'est pour les autres, qu'il faut faire le travail, répond Samuel Laurent, chef décodeur au Monde, les millions de personnes "qui partagent de bonne foi des choses fausses". Autrement dit, le faire pour qui en voudra bien. Lancer de petites bouteilles à la mer. Sans se laisser paralyser par la question de l'efficacité.

Le débat ne s'applique pas seulement aux rubriques "factchecking". Il s'applique au journalisme en général. La meilleure information est offerte à la partie du public qui a les moyens, et le temps, de s'informer. Autrement dit, idéalement, c'est BFMTV, plutôt que Le Monde, qui devrait offrir une rubrique Décodeurs. Idée que nous avions soufflée à son directeur, quand il était venu nous rendre visite, sans résultat notable.

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