Fausse neutralité, cas d'école : franceinfo sur ADP

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 46 commentaires

Si le gouvernement ne l'attendait pas, ce "référendum d'initiative partagée", sorti du chapeau sur Aéroports de Paris, le moins qu'on puisse dire c'est que la presse patronale ne l'attendait pas non plus. Elle se réveille. En toute hâte, elle cherche à rassembler des arguments. La campagne d'opinion que l'on va maintenant voir se déployer va donner une idée des armes idéologiques dont elle dispose encore.

Sans surprise, Les Echos (groupe LVMH) ont d'emblée opté pour le mode frontal. Un édito souligne "le jeu risqué"du PS et de la droite. Quel est donc ce "risque" ? Pour les socialistes, d'être confrontés au fantôme des aéroports de Toulouse, Lyon et Nice, privatisés sous Hollande. Quant à la droite, elle devrait se terrer, terrorisée par le fantôme des autoroutes Villepin. Finalement, ne font-ils pas "le jeu des extrêmes". Arguments attendus. Manifestement, ce risque ne terrorise pas les 248 parlementaires signataires. Il va falloir trouver autre chose.

Plus  insidieuse, donc plus intéressante, est la manière apparemment neutre et factuelle de Franceinfo. Admirons d'abord le titre savamment interrogatif : cette procédure "a-t-elle des chances d'aboutir un jour ?" se demande le site. Sous l'apparente interrogation, le "un jour", qui renvoie à la Saint Glinglin, livre pourtant un indice : ça ne marchera jamais.

 Et c'est tout le sens de l'article, que de détailler le parcours du combattant du RIP. Sur la première étape, obtenir les signatures des parlementaires, Franceinfo doit bien constater que c'est fait (même s'il n'en recense mystérieusement que 218, alors que Public Sénat en a compté 248). L'obstacle suivant est le Conseil constitutionnel. Validera-t-il le projet de RIP ? Sur ce point, Franceinfo ne se prononce pas, rappelant simplement que dans l'article 11 de la constitution, le référendum peut porter "sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent". Que veut dire ce mot "et" ? s'interroge Franceinfo. Autrement dit, les "Sages" feront ce qu'ils voudront.

Mais c'est sur l'étape suivante, le nécessaire soutien de 10% du corps électoral, qu'éclate le mieux la fausse neutralité de Franceinfo. Angoisse : la cause pourra-t-elle mobiliser 4,5 millions de Français ? Franceinfo est allé interroger un éminent constitutionnaliste, Michel Lascombe, lequel rappelle que "la pétition du genre la plus signée en France [pétitions en ligne exclues] est celle que le NPA avait lancé pour s'opposer à la privatisation de La Poste. Le texte avait recueilli un peu plus de 2,5 millions de signatures." Certes certes. Mais du temps a passé depuis 2009. Le saccage consécutif au changement de statut de La Poste, puisqu'on en parle, est aujourd'hui sous les yeux de tous (sans préjuger du futur proche).

Je ne suis pas en train dire que cette procédure a toutes chances d'aller à son terme. Je dis simplement que tous les "ça ne marchera jamais" méconnaissent simplement l'Histoire : l'imprévisible dynamique d'un rapport de forces. Avec tout le respect dû à ce constitutionnaliste, les citoyens se mobiliseront d'autant plus que l'on saura leur expliquer les implications, économiques et écologiques, de cette privatisation (à cet égard, on ne relira jamais assez cet exposé des ambitions de Vinci). Et d'autant moins que Franceinfo leur aura martelé que ça ne marchera jamais.

Màj, 10 heures :suppression de la mention sur la "privatisation" de La Poste, et ajout d'un lien sur le même sujet.


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