Facebook, leur monstre chéri

Daniel Schneidermann - - Numérique & datas - Le matinaute - 21 commentaires

Les sénateurs américains font face à leur monstre chéri. Hommages et cris d'effroi, brassées de fleurs et vacheries, "vous avez créé une compagnie formidable" et "vos conditions générales d'utilisation craignent".  C'est l'heure de briller devant les électeurs en se payant Zuckerberg. Sur le gril, le monstre chéri n'en finit pas de s'excuser (ce n'est pas la première fois qu'il s'excuse), multiplie les aveux d'ignorance sur des points techniques (après la suppression d'un compte, combien de temps Facebook conserve-t-elle les données ?), promet "je reviendrai vers vous". Il est parti pour revenir souvent. L'affaire Cambridge Analytica (notre émission est ici) a conduit à cette séance d'humiliation publique, immortalisée par cette photo allégorique (mais toute photo ayant Zuckerberg pour personnage prend vite une dimension allégorique).

Qui a remporté le match ? "Je ne vois pas Facebook mourir" disait un de nos invités en conclusion de notre émission. Je prends un pari : il est tout aussi peu probable que Facebook soit bientôt corseté par une réglementation tâtillonne de protection de la vie privée, ou de restriction de la circulation des données. A un Zuckerberg ayant affirmé qu'il ne craignait pas "une bonne réglementation", un sénateur a laissé entendre en réponse que le Sénat préférerait de loin ne rien réguler : "si nous régulons trop, nous empêcherons l'émergence d'un nouveau Facebook"Autant le système Facebook est construit pour massifier la récolte de données, et non pour la restreindre, autant l'écosystème législatif américain est construit pour l'émergence de géants comme Facebook, et non pour les entraver.

L'affaire Cambridge Analytica a-t-elle été surdramatisée par les médias traditionnels ? Quand vous lisez un article sur Facebook dans un média financé par la pub, n'oubliez jamais ceci : cet article parle d'un concurrent, qui menace de les assassiner. Un concurrent fascinant et qui les fascine, un concurrent qui fait mine de leur jeter des miettes (les Facebook live subventionnés, par exemple, les plus nuls sont ici), mais un concurrent terrifiant, et qui les terrifie. C'est ce qu'on appelle un biais.

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