Exit tax : du chocolat dans le brasier

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 29 commentaires

Indignation du matin : Macron supprime l'exit tax, cet impôt acquitté depuis 2012 par les riches qui se domicilient fiscalement à l'étranger. Circonstance aggravante, il a réservé cette annonce à Forbes, magazine que personne ne lit en France, mais qui connait une fugace heure de gloire chaque année pour son "classement annuel des milliardaires". Bravo. Bien joué. En plein remake de Mai 68, Macron, maniant une parabole matrimoniale que je vais me garder d'analyser, annonce aux super-super-super riches un cadeau pour les exilés fiscaux. Dans le mille.

Résolu de tenter de résister aux indignations matinales (je ne sais pas combien de temps je vais tenir), je prends un risque : je postule que ce garçon est intelligent, doté d'un minimum de sens politique, et qu'il a bien pesé les conséquences de chacun de ses gestes.

Avant tout, savoir de qui on parle. Cette taxe, explique Macron, est "un message négatif aux entrepreneurs, plus qu'aux investisseurs". Mais quels "entrepreneurs" ? Macron ne parle pas de n'importe quel entrepreneur. Cette taxe vise le créateur de start-up, dont la société valait, disons, 40 millions à sa création, et vaut 400 millions l'année suivante. Pour ne pas avoir à payer l'impôt sur les plusvalues, il décide de se domicilier, disons, en Belgique. Et c'est ici que le fisc français lui dit : très bien. Mais si tu revends par la suite tes actions avec plusvalue, Belgique ou pas Belgique, tu devras me payer l'exit tax (à 34,5%). Quand Macon parle des "entrepreneurs", il ne parle donc pas de tous les entrepreneurs. Il parle du start-uppeur, qui crée son entreprise dans l'intention parfaitement consciente de la revendre dès que possible en empochant sa plusvalue. Si je ne me trompe, c'est bien plutôt le profil d'un "investisseur". Passons.

Ensuite, savoir de combien on parle. Les quelques medias qui, au-delà de l'indignation, détaillent l'affaire (ici Le Monde) opposent deux montants. Celui de l'Assemblée, pour qui le rendement annuel de l'exit tax varie d'une cinquantaine à une centaine de millions par an, et celui du Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO), dépendant de la Cour des comptes, qui l'estime lui à ... 800 millions par an (ici, page 25). Ce n'est pas la même chose.  Mais un journaliste du Figaro,  Guillaume Guichard, va plus loin, en expliquant sur Twitter que ce montant du CPO est bidon : il inclut le "stock d'imposition en sursis", c'est à dire les plusvalues théoriquement taxables, mais non encore taxées, parce qu'elles n'existent pas encore (et n'existeront peut-être jamais, parce que le contribuable sera revenu en France, ou que sa plusvalue sera partie en fumée).

Pour désamorcer une partie de l'indignation mécanique, accordons ce point à Macron : l'exit tax ne rapporte quasiment rien.  Sa suppression, annoncée à Forbes, est certes une mesure pour super-riches (si Macron voulait vraiment lutter contre l'évasion fiscale, il tenterait d'inventer une exit tax plus efficace). Mais c'est une mesure en chocolat. Si les investisseurs-entrepreneurs aiment le chocolat, tant mieux.  Je serais presque tenté de dire que c'est bien joué. Mais, jeté dans le brasier français, même le chocolat peut être inflammable.  

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