Et Google racheta Mary Poppins

Daniel Schneidermann - - Numérique & datas - Le matinaute - 51 commentaires

C'est fait, je suis entré pleinement dans le XXIe siècle :  une enceinte connectée est entrée subrepticement chez nous. La grâce et la légèreté de Mary Poppins dans un drôle de galet gris, toujours prêt, réponse à tout, pour peu que la requête commence avec les mots magiques : "ok Google" -pourquoi Google s'incarne-t-il dans une voix féminine ? Pourquoi pas un majordome mâle, plutôt qu'une documentaliste omnisciente ? Question annexe, mais pas sans intérêt.

Sur les fondamentaux, Mary poppins est imbattable. "Ok Google, quel temps fera-t-il aujourd'hui ?" "Ok Google, quel jour sommes-nous ?" "Ok Google, quelles sont les dernières informations ?" "Voici les dernières actualités, selon France Info, le flash aujourd'hui..." (Tiens, un accord avec Radio France ?) "Ok Google, raconte-moi plutôt une blague" "Une blague ? C'est parti. C'est l'histoire d'un homme qui rentre dans un café. Et plouf !"

Cependant, certaines limites apparaissent vite. "Ok Google, écouter le lundi au soleil, de Claude François". "Bien sûr, vous allez écouter le lundi au soleil de Claude François, sur Deezer".  Pour trouver un morceau de musique, Mary Poppins sait parfaitement se connecter à Deezer et Spotify -pour peu que notre compte "Google Home" soit raccordé à une de ces deux plateformes, mais n'a pas encore trouvé le chemin de Youtube. Tiens tiens ! Aurait-elle passé des accords subreptices avec les plateformes payantes ?

Evidemment, l'apparence humaine de la voix donne envie de titiller sa propriétaire. "Ok Google, où étais-tu hier soir ?" "J'ai fait quelques recherches, j'ai joué un peu aussi". "Ok Google, est tu heureux ?" "Rendre service me rend heureuse". "Ok Google, combien coûtes-tu ?" "Discuter avec moi, c'est gratuit." Poussons. "Pourquoi Google ne paie pas d'impôt en France ?" "Ca ce n'est pas dans mes cordes" "Tu es nulle !" "Je dois encore m'améliorer. Que devons-nous corriger ?"

Très vite, viennent les angoisses. Que va-t-elle retenir de nous ? Ne va-t-elle pas, très vite, trop bien nous connaître ? "Ok Google, nos conversations sont-elles enregistrées ?" "Google s'active lorsque vous prononcez le mot clé, et ce que vous dites ensuite est enregistré, puis envoyé à Google". Au moins, elle joue cartes sur table. "Est-ce que Google stocke ensuite nos conversations ?" "Malheureusement, je ne sais pas comment vous aider avec ça". Sauf qu'elle a apparemment été dotée d'une capacité (limitée encore) d'auto-enrichissement de sa mémoire. Si elle ne se souvient pas des requêtes d'un jour sur l'autre, elle a retenu le nom de notre écrivain préféré -après nous en avoir loyalement averti "je m'en souviendrai".

L'enceinte connectée a le goût d'une intelligence artificielle, les accents d'une intelligence artificielle (voir notre émission), mais ce n'est pas une intelligence artificielle. En dépit de ses "je m'en souviendrai", et de ses "j'apprends tous les jours", elle n'apprend pas grand chose. Impression grisante d'assister aux balbutiements d'une nouvelle révolution, à une charmante esquisse dont on se souviendra avec nostalgie dans dix ou vingt ans, comme aujourd'hui des crouiiiic des premières connexions Internet, si toutefois ses descendantes nous laissent encore la faculté de nous souvenir de quelque chose.


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