Espionnage de Fakir : aucun écho dans Les Echos

Daniel Schneidermann - - Silences & censures - Le matinaute - 54 commentaires

Au milieu du déferlement de convocations de journalistes par la DGSI -dernier en date, le président du directoire du Monde, Louis Dreyfus, excusez du peu- une information est passée ici un peu inaperçue : la révélation, par Mediapart, que François Ruffin, et son équipe de Fakir, avaient été espionnés par l'ancien directeur de la DGSI sous Sarkozy Bernard Squarcini, reconverti dans l'espionnage privé. C'est à l'époque où Ruffin tournait "Merci patron", un film ridiculisant Bernard Arnault. Il était venu nous en parler ici. Comme quoi, l'Etat profond n'est pas seul à vouloir étouffer les enquêtes sur les ventes d'armes, ou la corruption dans l'entourage présidentiel. Les milliardaires qui tiennent la presse s'en occupent aussi.

Je parle de milliardaires qui tiennent la presse, car LVMH, comme chacun sait, détient deux journaux nationaux (Les Echos et Le Parisien), ainsi qu'une radio (Radio Classique). En tant qu'annonceur important, LVMH est aussi en mesure de peser sur la presse qui vit de la pub (autant dire toute la presse française), et parfois ne s'en prive pas.

Les informations de Mediapart sur l'espionnage dont Ruffin a été victime ont, logiquement, été reprises dans de nombreux medias (exemple ici). Sauf dans deux journaux : Les Echos et Le Parisien. Le directeur des Echos, Dominique Seux, par ailleurs chroniqueur à France Inter, n'y a consacré cette semaine aucune de ses chroniques. A noter que l'information est tout de même parvenue aux oreilles des journalistes de ces journaux, puisque leurs sociétés des rédacteurs sont co-signataires, avec une trentaine d'autres, d'un texte de solidarité avec le journal Fakir

Voilà donc des journalistes qui protestent contre l'acte d'espionnage imputé à l'entreprise de leur patron (soyons prudent), mais qui n'en écrivent pas une ligne dans leurs journaux. Il serait intéressant de les interroger sur cette contradiction.  Censure ? Autocensure ? Certains journalistes des Echos et du Parisien ont-ils proposé de traiter le sujet de l'espionnage de Fakir ? Cette proposition a-t-elle été rejetée par leur hiérarchie ? En quels termes ? Nous aurions aimé pouvoir vous éclairer sur ce point névralgique de la liberté de la presse, en France, en 2019. Mais la présidente de la société des rédacteurs des Echos, Leila de Comarmond, nous a répondu qu'elle n'avait rien à dire. Dommage. Au-delà des rituelles proclamations sur l'indépendance de la presse, c'est ainsi que se mesure, sur des faits apparemment mineurs, la mainmise des propriétaires sur les journaux qu'ils achètent.

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