En Allemagne, les mystères de la Saint-Sylvestre
Daniel Schneidermann - - Silences & censures - Le matinaute - 44 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Le plus intéressant, dans l'affaire des viols, agressions sexuelles et vols
commis sur les places publiques allemandes de Cologne, Hambourg et Stuttgart, dans la nuit du nouvel an, n'est pas la polémique sur l'identité des agresseurs. Se font face dans le "débat", comme prévisible, ceux qui, avant toute enquête, accusent les migrants, auxquels l'Allemagne a généreusement ouvert ses portes à l'automne dernier, et ceux qui, également avant toute enquête, sont surtout soucieux d'éviter de stigmatiser lesdits migrants. C'est l'éternel face à face, stérile et mortifère, des "briseurs de tabous", et des tenants du "politiquement correct" , selon la terminologie des premiers. La palme des "briseurs de tabous" à un journal néerlandais, De Telegraaf qui, sans doute mieux informé que les autres", accuse "les idiots utiles de l'industrie des réfugiés". Citée par Libération, la police allemande, elle, incrimine plutôt que les réfugiés, "une ou plusieurs bandes de petits criminels maghrébins installés de longue date en Allemagne". Du résultat des enquêtes policières, il sera toujours temps de tirer des conclusions.
Le plus étonnant dans l'affaire, ce sont les cinq jours de délai, entre les faits, et leur révélation par les medias allemands. Une des principales chaînes allemandes, la ZDF, s'est excusée, pour ne pas avoir mentionné les agressions dans son journal du lundi 4 janvier (soit quatre jours après les faits). A noter qu'elle ne s'est pas excusée pour son silence dans les journaux du 1er, du 2, et du 3 janvier, ce silence étant donc implicitement considéré comme normal. La ZDF ne se considère comme négligente qu'à partir du 4 janvier. Il faudrait comprendre pourquoi cette date, et pas les soirs précédents. Sans doute parce que ce n'est que dans la journée du 4 janvier, que l'on a eu une idée du nombre de plaintes déposées (une centaine à ce jour, dont une seule pour viol), les commissariats allemands étant sans doute indisponibles le week-end. Dans ce retard aussi, il serait intéressant de parvenir à démêler ce qui relève de l'absence d'informations sourcées, de ce qui relève de la restriction mentale, laquelle, dans une distribution de l'information désormais dominée par les réseaux sociaux, fait toujours le jeu de la fachosphère.
Mais cette dépendance des medias à l'égard des sources policières est aussi, en elle-même, instructive. De l'absence, à ce jour, de toute images des faits, il faut bien tirer la conclusion -provisoire- que pas un journaliste, pas une chaîne de télé en direct, ne se trouvaient cette nuit-là sur les places principales de Cologne, Hambourg ou Stuttgart. Et pas un videaste amateur non plus, pas une caméra de vidéosurveillance, pas un détenteur de smartphone. Là où on l'imaginerait le moins, il reste des trous noirs, dans la numérisation du monde.