Elkabbach, et le mystère Martinez
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 104 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Qu'en termes polis ces choses sont dites.
Un défilé "n'apparait pas envisageable", et il vaudrait mieux "prendre en considération" la proposition du préfet de police de Paris d'un "rassemblement statique" a expliqué, dans une lettre, Bernard Cazeneuve à Philippe Martinez, avant la journée d'action du 23 juin. En réponse, les syndicats ont, non moins courtoisement, demandé au ministre de "revoir sa position". Circulez contestataires de la loi Travail, il n'y aura plus de manif à Paris. Mais vous reprendrez bien une tasse de thé ?
Si l'on tente pourtant de traduire, la pensée profonde du pouvoir était exprimée dimanche à Martinez par Elkabbach, en introduction d'une émission hallucinante, dans laquelle le trio Elkabbach-Darmon-Fressoz a tancé le secrétaire général de la CGT pendant une heure. Elkabbach : "Est-ce que je peux vous féliciter ? Bravo Monsieur Martinez. Vous êtes devenu le metteur en scène et l'acteur d'un spectacle douloureux et épuisant pour les Français, et couteux pour la France et pour son image (...) On n'est pas en tête de tous les cortèges et de tous les combats d'arrière-garde, on ne nuit pas à la croissance et aux emplois, sans en payer un jour l'addition (...) Philippe Martinez, vous pouvez encore montrer que vous savez tenir compte du danger terroriste qui menace toute l'Europe et même la France, et finir une grève qui est désormais sans beaucoup de grévistes". Une heure sur ce ton. Pour les masos, l'intégrale est ici.
Mais pourquoi Philippe Martinez, ou d'autres, vont-ils dans ces émissions où ils se font taper sur les doigts comme des enfants ? Quels bénéfices en espèrent-ils ? Pourquoi se laissent-ils insulter impunément, une heure durant ? Admettons qu'ils souhaitent "occuper le terrain", ne pas "pratiquer la politique de la chaise vide", etc. Dans un environnement médiatique ouvertement hostile, il y a deux solutions. Se couler dans le dispositif, en espérant malgré tout "faire passer son message" dans les minces interstices de parole ou bien, braquant les projecteurs sur lui, dévoiler ce dispositif, et en faire le sujet principal. C'est la solution adoptée en d'innombrables circonstances par Mélenchon ou, plus récemment, dans une séquence d'anthologie face à Aphatie, sur la même radio de Lagardère, par Ruffin qui, son message délivré, avait quitté le studio, laissant Aphatie face à lui-même.
Incontestablement, Philippe Martinez aurait le coffre suffisant, pour rappeler aux trois aboyeurs leur qualité principale de porte-parole de Lagardère, de Bolloré et de Niel-Bergé-Pigasse. Et si, leur ayant rivé leur clou, et offert en cadeau un gilet orange de la CGT, il décidait ensuite de les laisser gronder entre eux pendant une heure, il est certain que ses jambes le porteraient hors du studio. Alors ? A quoi bon faire le brave face à Valls et Cazeneuve, si c'est pour se soumettre à leurs chiens de garde ?
Martinez, by Alain Korkos