Eldinisation du politique

Daniel Schneidermann - - Humour - Le matinaute - 38 commentaires

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C'est un étrange feuilleton, qui a commencé dans les rubriques politiques sérieuses, et se termine chez un amuseur.

Dimanche dernier, un "ministre influent", cité par France Info, estime que les listes PS et Les Républicains devraient fusionner au second tour des Régionales, pour barrer la route au FN. Un ministre influent, et anonyme, bien entendu. Fureur du premier secrétaire du PS Cambadélis : "soit il se nomme, soit il se la ferme" rugit-il (France Info assurait pourtant que le "ministre influent" avait fait part de sa suggestion à Cambadélis. Quand il le somme de "se nommer", Cambadélis le connait donc. C'est un aspect annexe de l'affaire).

Quelques jours passent, l'anonymat du"ministre influent" est préservé par les journalistes politiques. Là-dessus, déboule à l'Assemblée le rigolo du Grand Journal de Bolloré, Cyrille Eldin. Absence de surmoi, tête à claques, génie de la répartie : Eldin reprend le rôle créé à la télévision par Laurent Baffie. Et, de blague en blague, interrogeant "les petits" et "les aigris", il entreprend une enquête apparemment blaguesque. Au député de La Rochelle Falorni : "un nom, un nom, vous n'avez aucun mal à dénoncer". A Balkany, en intermède : "c'était bien, ces vacances à Paris ?" Survient enfin le député PS "frondeur" Laurent Baumel, mutin : "quelque chose me dit que tout le monde sait qui c'est". Eldin : "Oh ! On se rapproche. C'est qui ? C'est un ministre un peu ambigu, pas trop de gauche ? Un peu de droite ? Aidez-moi ! Des initiales !" "Euh. C'est un nom composé. Voilà. Je vous en dirai pas plus". Eldin, désespéré : "Le Drian ?" "Pas forcément". Sortie de Baumel. Qui revient par une autre porte, comme au théâtre. Eldin : "c'est Le Guen ?" "Ah ben c'est ptêt ça, oui. Mais c'est pas la preuve. Tout ce que je dis c'est que ça lui ressemble". Eldin, se reportant sur l'aubryste François Lamy : "est-ce que vous pourriez me trouver Le Guen ?"' Lamy : "le ministre influent et anonyme ?" Eldin, triomphant : "tac, ça balance".

Est-ce Le Guen, ministre des Relations avec le Parlement, honni des "frondeurs" ? N'est-ce pas Le Guen ? Suite demain (ce soir) où Eldin aura certainement mis la main sur le soupçonné. On vient, en tout cas, d'assister à un glissement. Le glissement d'un débat politique estampillé "sérieux" (quelle stratégie électorale pour les partis traditionnels face au FN ?) des rubriques politiques proprement dites, vers l'océan de la rigolade de l'infotainement. Ainsi eldinisé, le débat politique exclut non seulement toute dimension tragique, mais même toute prétention au sérieux. Pas question par exemple d'expliquer que les "frondeurs" ont politiquement intérêt à affaiblir Le Guen, chien de garde parlementaire de Valls et Hollande. Pas de prise de tête à Rigolland ! Se laissant plaisanter par Eldin, les politiques admettent et ratifient leur réduction au rôle de simples comparses d'une pièce dont ils ont renoncé à être les auteurs et les metteurs en scène. Au chômage technique, toute la troupe shakespearienne est trop heureuse de cachetonner désormais au Boulevard.

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