Du secret défense et du dentifrice

Daniel Schneidermann - - Complotismes - Le matinaute - 108 commentaires

Est-ce possible ? Est-ce possible que l'on revive exactement 2016 ? Le triomphe annoncé du démocrate raisonnable, urbain, civilisé, annoncé, claironné, par tous les sondages publiés par tous les médias professionnels, raisonnables, argumentés, du New York Times à CNN ? Et, dépouillement après dépouillement, État après État, le coup de tonnerre de la victoire du barbare, victoire accordée par la multitude des points aveugles, les péquenots de la Rust Belt, les latinos, les Noirs ? Est-ce possible qu'ils n'aient, à ce point, rien appris ? Oui, c'est possible. Mais comme, à l'heure où j'écris, ce n'est pas acté, parlons d'autre chose pour ce matin.

Depuis le début de la pandémie, en mars dernier, vous entendez parler du "conseil de défense". "Emmanuel Macron a réuni le conseil de défense". "Le conseil de défense a décidé ceci ou cela". Et vous vous demandez vaguement, sans trop y réfléchir, pourquoi il est besoin de galonnés, de la fine fleur française de la lutte antiterroriste, pour décider de départager le dentifrice et le rouge à lèvres dans les rayons hygiène des supermarchés. C'est très opportunément que Jean-Luc Mélenchon s'est saisi hier de la question, en détaillant la liste des membres du fameux conseil de défense, et en avançant une raison de sa nouvelle toute-puissance : étendre à tout le gouvernement l'immunité dont bénéficie le président de la République, et prémunir les ministres contre des poursuites pénales  ultérieures.

Ce conseil de défense n'est pas vraiment un "comité secret". Ses réunions se tiennent à l'Élysée, et sont annoncées publiquement. Ce sont ses délibérations, qui sont secrètes, et sa composition arbitraire : le président y convoque / invite qui il veut, souverainement. Mais ce qui est certain, c'est que le nouveau confinement élaboré dans ce conseil de défense est en train de se heurter à un vrai problème "d'acceptabilité", comme on dit (sans doute) dans le vocabulaire du conseil de défense. Ce ne sont pas seulement les pousseurs de coups de gueule professionnels, les Isabelle Saporta, les Alexandre Jardin, qui remplissent leur office sur les chaînes d'info. Ce sont des maires, des dizaines de maires, qui bravent les consignes en signant des arrêtés de réouverture des commerces (lire notre enquête).

Les médias doivent-ils, et comment, relayer ces appels à la désobéissance ? La question risque de leur poser des problèmes existentiels, quand ils auront le temps d'y réfléchir. Et à propos de médias : tandis que j'écrivais, et alors que tous les résultats ne sont pas encore connus, Trump vient de proclamer sa victoire, et d'annoncer qu'il allait saisir la Cour suprême afin de faire cesser les dépouillements. Toutes les chaînes américaines ont diffusé en direct ce qu'il faut bien appeler un appel au putsch (même si NBC a interrompu la retransmission pour rectifier le président). Bien obligées, diront-elles. Obligées ? Non. Quelques heures plus tôt, Twitter avait restreint l'accès à un tweet de Trump, sur le même thème.

Lire sur arretsurimages.net.