Domination et non-dits
Daniel Schneidermann - - Scandales à retardement - Le matinaute - 102 commentaires
Décidément, ils ont du mal, avec ce concept de "dominants". Il leur brûle les mains. Attention, nitroglycérine ! Il fallait entendre, hier matin, sur France Inter, Thomas Legrand, mine de rien, tenter de le disqualifier. D'abord, en le ridiculisant ("
Ici, dans ce studio il y a des dominants : une femme politique, des journalistes mainstream. Mais, ne vous y trompez pas, ces dominants sont autant de victimes potentielles : 3 femmes, dont une étrangère (belge, certes), une Française "
de souches, pas très nettes"
, un catho pratiquant, un hypocondriaque et un dyslexique.
une femme belge, un dyslexique, un hypocondriaque"
). Ensuite, vieille technique, en le nazifiant. Le dominant serait aussi
un concept d'extrême-droite : les fachos, eux aussi, auraient leurs "dominants" (le lobby LGBT, les libéraux, les medias mainstream). OK. Peut-être. Je ne connais pas assez la prose identitaire. Et alors ? Les identitaires peuvent aussi dire qu'il fait soleil à midi.
A propos des "féministes agressives"
qui, selon Legrand, s'opposent aux "dominants", ce matin, les trois femmes gardées à vue après la manif féministe du 7 mars (notre article ici) témoignent sur le site Konbini. Elles témoignent des injures entendues dans la bouche des policiers. Je conseille cette vidéo à Thomas Legrand.
Samedi soir, elles se sont fait violemment interpeler par les forces de l'ordre lors de la manif féministe à Paris.
— Konbini news (@konbininews) March 10, 2020
Alizée, Valentine et Emma racontent les insultes et les violences policières qu’elles ont subies ainsi que les conditions dégradantes en garde à vue. pic.twitter.com/DPkTmk45Do
Comment, dans une information apparemment factuelle et impartiale, comme une chronique de Thomas Legrand, déceler si la narration se trouve aux mains des dominants ? Pas seulement par ce qui y est dit. Mais aussi en reconstituant tout ce qu'un article, une dépêche, ne disent pas, ne rappellent pas. Ainsi, j'apprends à l'instant que, selon l'AFP, "le journaliste Jérôme Garcin démissionne du prix Renaudot pour féminiser le jury
", à la suite du scandale causé, à retardement, par l'attribution du "Renaudot Essai" à Gabriel Matzneff, en 2013. "Je ne pars pas seulement en raison de l'affaire Springora, explique Garcin dans sa lettre de démission, mais aussi pour les vices de forme qu’elle a révélés, notamment la recherche des 'coups', au détriment de la littérature, et l’aberrante constitution d’un jury à 90% masculin. Et j’ose déjà espérer que ma place sera occupée par une femme."
Ce que dit apparemment cette information, c'est qu'un multi-dominant renonce de son plein gré à une partie de son pouvoir de domination. Mais si l'AFP rappelle que Garcin est aussi "rédacteur en chef des pages Culture de L'Obs", elle ne rappelle pas qu'il est, en outre, animateur du Masque et la plume,
sur France Inter.
Le jury Renaudot ne représente donc qu'une infime partie de son large pouvoir de domination (ou d'influence, si on préfère) sur le marché de l'édition. Elle ne glisse pas non plus l'idée que Garcin aurait pu s'émouvoir plus tôt de ces aberrations, mais c'est normal : ce serait du commentaire, et ce n'est pas son rôle.
On pourrait continuer le jeu. "Le jury du Renaudot,
rappelle l'AFP, était composé en novembre 2019 de Patrick Besson, Frédéric Beigbeder, Dominique Bona, la seule femme du jury, Georges-Olivier Châteaureynaud, Jérôme Garcin, Louis Gardel, Franz-Olivier Giesbert, Christian Giudicelli, J.M.G. Le Clézio et Jean-Noël Pancrazi"
. Mais, à propos de Giudicelli, l'AFP ne rappelle pas que son bureau, aux Editions Gallimard (également éditeur de Garcin) a été perquisitionné le 12 février dernier par les policiers de l'Office Central pour la répression des violences aux personnes, à la recherche de passages expurgés du journal de Matzneff. On pourrait également continuer sur Beigbeder, à qui il s'est trouvé la semaine dernière une radio, Europe 1
, pour ouvrir son micro, afin que le toujours membre du jury Renaudot y dise tout le mal qu'il pense de Adèle Haenel et Florence Foresti, mais je ne veux pas faire trop long, et vous pouvez parfaitement jouer tout seuls...