Directive Copyright : wikipedia, avec les GAFA

Daniel Schneidermann - - Nouveaux medias - Numérique & datas - Le matinaute - 25 commentaires

Si vous avez aimé, voici une bonne dizaine d'années, le débat sur la Hadopi, et les empoignades entre Johnny Hallyday, et les avocats des libertés numériques, vous allez adorer le débat émergent sur la "directive copyright". Pour une première idée de l'ambiance, prenez 39 minutes pour écouter l'émission de France Inter Le téléphone sonne, du 3 juillet, réunissant les eurodéputés Jean-Marie Cavada et Virginie Rozière (favorables) et Pascal Durand (opposé).

Pour résumer, une "directive copyright" doit être adoptée, ce jeudi, par le Parlement européen, pour obliger les plateformes (au premier rang Youtube, et Google News) à mieux rémunérer les ayant droits des contenus culturels ou médiatiques qu'elles mettent en ligne, ou vers lesquels elles orientent. Après la protection des données, avec le RGPD, c'est, en quelques mois, la deuxième offensive de taille de l'UE contre les GAFA.

Le débat de France Inter donne l'image d'une bataille confuse, avec noms d'oiseaux -"voleurs !" "censeurs !"-, accusations réciproques de lobbying opaque acharné, accusations non moins réciproques de manipulation de notices Wikipedia, et éléments de langage bien rôdés de part et d'autre. Et Cavada de dégainer "les sept millions 200 000 personnes qui vivent de la création culturelle en Europe" (on admire la précision de l'estimation). Et l'eurodéputé EELV Pascal Durand d'invoquer le droit pour l'internaute de taper "Centrale nucléaire Bugey, Rhône" (exemple choisi au hasard), sur son moteur de recherche préféré. Tous ces arguments ont été mille fois échangés, et ce débat n'y apportera sans doute rien de plus.

Plus intéressant est le cas de Wikipedia, autour duquel le débat de France Inter s'est focalisé. S'il s'agit d'écorner les dividendes des actionnaires des GAFA, et de manière plus substantielle que par les aumônes versées à la vieille presse par Google quand elle crie un peu trop fort, tout le monde ou presque sera d'accord. Ce qui brouille les cartes, c'est l'engagement dans la bataille de l'encyclopédie collaborative, et notamment de son fondateur Jimmy Wales, aux côtés des GAFA. Dans l'émission de France Inter, Jean-Marie Cavada (artisan et partisan de la directive) répète une dizaine de fois que Wikipedia n'est pas concernée. L'encyclopédie en ligne pourra continuer, dans ses notices, de placer des liens hypertexte (non concernés non plus, toujours selon Cavada) vers les contenus de référence.

Ce dont convient d'ailleurs Wales, qui, dans cet échange, déporte le débat : si le texte, en effet, ne menace pas Wikipedia, il menace en revanche toutes les initiatives proches ou similaires, qui naitront dans les prochaines années des évolutions technologiques. Il est gros de menaces pour les Wikipedia de demain, ceux dont les petits génies qui les enfanteront n'ont pas encore l'idée même. C'est la difficulté de tout débat à propos de la régulation d'Internet : raisonner  et légiférer, avec nos catégories et nos connaissances d'aujourd'hui, à propos d'un monde dont nous n'avons encore aucune idée. Quelque chose me dit que nous y reviendrons.



Lire sur arretsurimages.net.