Derrière le mantra macronien de la "formation"

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 58 commentaires

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L'un des mantras du macronisme, c'est la formation.

OK, le budget de Macron des Bois prend aux pauvres pour donner aux riches, OK on va tout faire pour fluidifier le licenciement des pauvres, OK on va grossir les rangs des chômeurs, des précaires, des fainéants et des fouteurs de bordel, mais en échange, attention, tagada tsoin tsoin, sonnez hautbois résonnez musettes, on va les for-mer. Mieux encore : leur offrir un "droit à la formation". Et tout au long de la vie, s'il vous plait. C'est sympa, tout de même, un droit à la formation. Qu'ils ne viennent pas se plaindre !

C'est ce que refrain que reprend aujourd'hui le très macronien Laurent Alexandre, un des invités de notre émission de la semaine sur l'Intelligence Artificielle, dans une carte blanche du Monde. Vive la formation ! Et en tout cas, mieux vaut la formation que l'assistance, sous forme d'un revenu universel, ou d'un revenu minimum. En celà, Alexandre prend le contrepied d'un autre gourou de l'Intelligence Artificielle, l'historien Yuval Noah Hariri, lequel, dans un des best sellers de la rentrée, "Homo Deus" (Albin Michel), a prophétisé l'inutilité prochaine des neuf dixièmes (version optimiste) de la population mondiale. Que faire des ces inutiles ? Les payer à ne rien faire, ou les for-mer ? Voilà le débat des prochaines décennies, débat qui se déroule comme de juste sous le radar des medias grand public. Et de la classe politique française, incidemment. Lors de la dernière présidentielle, Hamon a été le seul à l'effleurer, avec le brillant résultat que l'on a vu. On ne va tout de même pas consulter les humains, avec leur intelligence limitée, sur ces questions subalternes. Les seigneurs de l'IA décideront pour eux.

Former les inutiles pour leur rendre une sorte d'utilité, c'est parfait. Mais les former à quoi ? A quels métiers ? Ah, on verra plus tard. Pourquoi entrer dans les détails ? Dommage. Ce serait intéressant. Sur ces nouveaux métiers, une autre invitée de la semaine, Tiffany Blandin, lève un coin du voile dans son livre "Un monde sans travail" (Seuil / Reporterre). Et ça tient en un mot : les données, pardi. Pour fonctionner, les IA ont besoin d'engloutir des millions, des milliards de données. Et il faut bien, ces données, les collecter, et les enfourner. Récupérer les e-mails et numéros de téléphones de personnalités ; saisir des tickets de caisse (les 12 tickets sont payés 5 centimes) ; liker des statuts facebook ; décrire des photos, etc etc. Un de ces nouveaux marchés aux esclaves s'appelle par exemple Mechanical Turk, c'est la plateforme de "micro-travail" lancée par Amazon.

Mais combien de temps encore les IA auront-elles besoin de données collectées par des humains ? À peine avions-nous tourné notre émission, dans laquelle nous revenions sur l'exploit d'AlphaGo, première machine à avoir battu un humain au jeu de Go en 2016, que AlphaGo est mort et enterré. Ecrasé par son petit frère, AlphaGoZero, lui aussi conçu par la même société Google DeepMind. Lequel AlphaGoZero n'a avalé aucune donnée humaine, mais s'est simplement entrainé contre son petit frère, contre qui il n'a eu besoin de jouer que 4,9 millions de parties, à l'entrainement, pour le battre 100 parties à 0.

Joli coup de pub pour la société. Qui ne doit cependant pas faire oublier (Le Monde le rappelle à la fin de son article) que DeepMind est encore aussi, pour l'instant, boulimique en données : par un partenariat conclu dans des conditions opaques avec les autorités sanitaires britanniques, concernant la détection rapide de l'insuffisance rénale aigue, elle a récolté l'an dernier les dossiers médicaux complets (overdoses, avortements, VIH) de 1,6 millions de Londoniens, à l'insu de ces derniers. L'intervention de quelques humains à faible intelligence (organismes de contrôle, ONG) l'a contrainte à faire marche arrière. Pour combien de temps ?

AlphaGo, par Google Images


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