Delevoye, BlackRock : oublis, lapsus et silences

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 100 commentaires

Donc Jean-Paul Delevoye, haut commissaire à la réforme des retraites, avait"oublié" de déclarer un mandat d'administrateur -bénévole - à l'IFPASS, un institut de formation lié au monde de l'assurance. On se réveille percuté par la nouvelle, qui s'est répandue partout sur les réseaux sociaux. C'est une enquête de Catherine Gasté, du Parisien, qui a débusqué "l'oubli".

Delevoye a été nommé ministre délégué le 3 septembre. Il disposait d'un délai de trois mois pour déposer sa déclaration d'intérêt, effectivement déposée le 15 novembre, et publiée le 7 décembre sur le site de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), où elle a donc aussitôt été repérée par Le Parisien. L'IFPASS a pour clients la plupart des sociétés françaises d'assurance. On peut considérer que cet institut appartient, au sens large, au "lobby de l'Assurance".

Je place tout naturellement le verbe "oublier" entre guillemets, mais je ne suis pas le seul. Toute la presse du matin, reprenant Le Parisien, a dégainé ses guillemets. L'histoire établira peut-être que Delevoye était sincère, en assurant avoir "oublié" cette fonction bénévole dans un organisme par ailleurs en difficulté financière, mais peu importe. Cet "oubli" dit une vérité, comme le lapsus de Macron parlant devant Ruth Elkrief de retraite par capitalisation, quand il voulait prononcer les mots "retraite par répartition".

Il faut dire que ce n'est pas la première fois que l'acte manqué de l'oubli apparaît dans la rubrique "moralisation" de la vie politique française. Depuis le début du quinquennat Macron, ce sont pas moins de douze ministres qui ont dû modifier leur déclaration de patrimoine (à ne pas confondre avec la déclaration d'intérêts). "L'oubli" le plus spectaculaire fut celui de la ministre de la Justice Nicole Belloubet, qui avait "oublié" de déclarer trois biens immobiliers, pour un total de 336 000 euros. Le magazine Mariannea recensé tous les autres "oublis".

Autant dire que personne ne croit à "l'oubli". Et si personne n'y croit, c'est parce que chacun peut comprendre que le secteur de l'assurance complémentaire retraite (autrement dit, la retraite par capitalisation) a mécaniquement tout à gagner à une réduction des pensions de retraite, comme la promet la réforme Macron-Delevoye à l'immense majorité des pensionnés. 

L'impact médiatique ravageur de "l'oubli" de Delevoye est d'ailleurs à rapprocher du silence de la presse sur une révélation du Canard Enchaîné de 2017 :  Odile Benyahia-Kouider révélait alors qu'un salon de l'Elysée avait été privatisé, une demi-journée entière, pour la délégation d'un fonds d'investissement américain, BlackRock, fonds extrêmement attentif aux opportunités des réformes du système des retraites en France. Déjeuner à Matignon avec Edouard Philippe, puis, à l'Elysée, topos de 45 minutes de Muriel Pénicaud, Bruno Le Maire, Elisabeth Borne et Benjamin Griveaux. Bref, ce matin, la réforme des retraites est nue. Sa part d'inavouable est à nu, exhibée à tous les regards, seulement protégée par les LBD de la police. Et il fait froid, en décembre.

Mise à jour 10h30.  Pan sur le bec du matinaute : l'article du Canard sur BlackRock date de l'automne 2017.

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