Deleuze, et la douceur de n'avoir rien à dire
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 32 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Ce sont des questions sans réponse, qui traversent tous les jours l'actualité
comme des météores. Les banques françaises, par exemple, sont un inépuisable réservoir de mystères. "Elles sont solides", assure la doxa, empressée. Mais si elles sont si solides, pourquoi ont-elles tant besoin d'argent public ? Et si cet argent public est véritablement un besoin pour elles, et non pas un cadeau, comment le pouvoir peut-il en faire un instrument de chantage, pour forcer les patrons à sacrifier leurs faramineux bonus ? Le premier de toute la presse, Le Canard Enchaîné souligne cette semaine ces éclatants paradoxes. Parmi toutes les voix du matin, intervieweurs et interviewés mêlés (sans parler des zauditeurs), qui relatent et nourrissent la préoccupante saga bancaire, combien détiennent une réponse claire à cette question ? Manifestement taraudé par la question, le journal de 8 heures de France Inter livrait un élément de réponse: elles n'ont certes pas directement besoin de cet argent public, mais il les aidera à inspirer confiance, et donc à emprunter, et donc à pouvoir prêter (à moins que ce ne soit l'inverse). On reste confondu devant les ressources de la dialectique. |
Chaque matin, chaque soir, sur toutes les antennes, sur tous les sujets, que d'analyses péremptoires qui ne reposent que sur le bruit, et ne produisent que du bruit ! Naviguant au jugé entre sa cuisine et sa salle de bains, assommé de statistiques alarmistes, le matinaute reste confondu par tant de science déversée. Et ne peut s'empêcher de repenser à Gilles Deleuze. "On fait parfois comme si les gens ne pouvaient pas s'exprimer disait Deleuze, cité par l'un d'entre vous sur un forum du site. Mais, en fait, ils n'arrêtent pas de s'exprimer. [...] Si bien que le problème n'est plus de faire que les gens s'expriment, mais de leur ménager des vacuoles de solitude et de silence à partir desquelles ils auraient enfin quelque chose à dire. Les forces de répression n'empêchent pas les gens de s'exprimer, elles les forcent au contraire à s'exprimer. Douceur de n'avoir rien à dire, droit ne n'avoir rien à dire, puisque c'est la condition pour que se forme quelque chose de rare ou de raréfié qui mériterait un peu d'être dit. Ce dont on crève actuellement, ce n'est pas du brouillage, c'est des propositions qui n'ont aucun intérêt."