Déconnexion et accordéon en France
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 65 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Et, six mois plus tard, les journalistes anglo-saxons réjouis s'aperçurent
que les salariés français jouissaient maintenant d'un "droit à la déconnexion". L'amusant, avec la focalisation à retardement de la presse étrangère sur ce droit introduit par la loi El Khomri, c'est qu'il a justement fallu la presse étrangère, pour que les Français prennent connaissance de cet article de la loi. Tout au long du mouvement de contestation, ce sont les dispositions sur les prudhommes ou la primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, qui ont focalisé la colère des opposants à Valls et à son 49-3 forcé. Voici qu'on réalise que cette loi contenait aussi quelques dispositions favorables aux salariés dont, justement, ce droit à la déconnexion, qui force les entreprises de plus de cinquante salariés, à compter du 1er janvier, à établir une "charte des bonnes pratiques", pour éviter aux cadres le mail de 23 heures 45.
Si la presse étrangère (notamment anglo-saxonne) focalise sur cette disposition, c'est parce qu'elle conforte sa vision de la France : bons vins, qualité de vie, 35 heures, et accordéon. Oui, accordéon. Car le Français, le saviez-vous, vit sa journée au son de l'accor, de l'accor, de l'accordéon. Et ce ne sont pas seulement le Wall Street Journal ou le Financial Times qui le disent. C'est le fond musical choisi par Michael Moore, dans son film Sicko sur les systèmes de santé, dont nous avons diffusé un extrait dans notre dernière émission sur la Sécu. Au son de l'accordéon, donc, le film donne la parole à un sympathique jeune Français qui a bénéficié de trois mois d'arrêt de travail après une chimiothérapie de trois mois, et a ainsi pu se retaper complètement, au soleil de la Côte d'Azur, sous les palmiers. Image trompeuse, comme le rectifiait sur notre plateau le sociologue Frédéric Pierru, les prétendus "abus à la sécu" masquant le phénomène, autrement plus ample, du non-recours aux droits sociaux, pour cause de procédure trop complexe.
Ànoter que ce n'est quasiment que la presse anglo-saxonne, qui développe cette vision de la France. Sur le fameux site public russe RT France, qui brosse jour après jour une fresque apocalyptique de la société française, garantie sans palmiers ni accordéons, une recherche sur le mot "déconnexion" ne renvoie que... vers des articles sur le mouvement des chauffeurs Uber, qui se plaignent de leurs déconnexions arbitraires de la plateforme par la direction, à la suite de commentaires négatifs des clients, et ont "jeté des oeufs sur la porte du siège de Uber" (avec vidéo). Ces deux visions opposées de la société française sont évidemment, toutes les deux, aussi vraies que fausses. L'avantage de la mondialisation de l'information, c'est que le consommateur français a le choix.
Sicko (Michael Moore)