De Sainte-Soline aux retraites
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 163 commentaires
A priori, rien à voir. Rien à voir entre la réforme des retraites, et les méga-bassines de Sainte-Soline. Et pourtant, la violence de la répression policière contre les contestations concomitantes de ces deux politiques, révélée dans les deux cas par la violence identique des images d'affrontements entre manifestants et policiers (et les mensonges d'État, et les pauvres offensives de com'), oblige à y chercher un point commun. Quels sont donc les intérêts que défend si âprement l'Etat, si âprement qu'il donne l'impression qu'il est justement là pour ça, uniquement pour ça, pour faire cette
réforme des retraites, et pour défendre ces
bassines-là ?
Défendre les bassines, envers et contre tout. Les défendre en faisant donner par le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) une expertise concluant à leur innocuité pour la ressource hydrique, vite démontée par une hydrologue indépendante. Les défendre en laissant construire le barrage du lac de Caussade, pourtant condamné en justice, en première instance et en appel. À noter que le promoteur de ce barrage est le président de la Chambre d'agriculture du Lot-et-Garonne, celui-là même qui prétendait hier, déploiement de tracteurs à l'appui, interdire à l'écologiste Marine Tondelier de pénétrer sur le territoire de son département (elle y a tout de même brièvement manifesté). Les défendre en engageant la "dissolution" du groupe Les soulèvements de la terre
(on se demande comment, le dit groupe n'étant pas constitué en association). Pour en savoir davantage sur ce groupe, la vision policière, traduite dans le Parisien
, est ici. La vision de Reporterre est...sur Reporterre (avec géniales illustrations de Alessandro Pignocchi)
Quant à la "réforme" des retraites, on en est ce matin au point où le gouvernement, après avoir imposé son projet sans vote à l'Assemblée, tente de trouver une introuvable "sortie politique", en invitant Laurent Berger à Matignon, tout en lui précisant bien qu'il n'y sera pas question des retraites, mais qu'on aura tout de même le droit d'en parler. Ce qui ne l'empêche pas de continuer de tenter de dissuader par la terreur tous les manifestants potentiels. Police des villes, gendarmerie des champs. Ici et là, lacrymos et matraques.
Derrière la répression, donc, quelle ligne commune ? En défendant l'installation de méga-bassines, le gouvernement affiche un choix résolu, dans la guerre de l'eau qui débute, pour la perpétuation d'un modèle d'agriculture, porté par la FNSEA, qu'on peut qualifier "d'agro-industrie". Agriculture mondialisée contre agriculture locale. Grandes exploitations céréalières exportatrices contre petites exploitations maraîchères. Je schématise. On trouvera toujours, à la marge, des petits maraîchers bénéficiant des bassines, mais c'est la tendance. Si vous avez vingt minutes, je recommande chaudement cette vidéo du compte YouTube Partager c'est sympa.
En défendant cette
réforme des retraites, le gouvernement choisit de privilégier les retraités actuels (en maintenant le niveau de leurs pensions), contre les retraités futurs, invités à trimer deux ans supplémentaires. Et en choisissant de relever la barrière d'âge plutôt que la durée de cotisation, il choisit aussi de faire porter "l'effort" sur les pauvres, au corps cassé, plutôt que sur les diplômés, entrés plus tard sur le marché du travail.
Le premier point commun, évident, c'est le court-termisme. Sur l'agriculture comme sur les retraites, Macron choisit la perpétuation des systèmes, et des équilibres (ou déséquilibres) existants, plutôt que la recherche de nouveaux équilibres, de nouveaux modèles, rendus inévitables par l'évolution de la perception du travail, ou le dérèglement climatique. Et derrière ce court-termisme, il choisit aussi, désolé d'être encore schématique, les riches contre les pauvres, les installés contre les "nouveaux entrants" (et pourtant, Dieu sait que ces "nouveaux entrants" furent au coeur de l'utopie macroniste, pour autant qu'on y comprenait quelque chose), les gros contre les petits. Cela s'appelle classiquement une politique conservatrice. Ce n'est pas un scoop. Encore faut-il le dire simplement.