De quoi l'autofellation est-elle le nom ?

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 45 commentaires

Comme tout honnête twittos, j'ai vu hier passer ceci.

La combinaison du titre et de la photo m'évoquant plutôt courbatures et souffrance, que promesse de volupté, je n'aurais pas eu l'idée de cliquer, sans les réactions qu'il a provoquées, et sans la riposte de son auteure, Renée Greusard.

Cette invite à "réfléchir vraiment à l'autofellation" (jusqu'à présent, j'avoue que je n'avais qu'effleuré superficiellement la question) a valu à l'article, et à l'auteure, une salve de sarcasmes, et d'hostilité, rappelant l'époque lointaine des "journaux de confinement" des privilégiées Leila Slimani et Marie Darrieusecq (oui, si lointaine, déjà !)  

A quoi Renée Greusard a répondu en taxant ses critiques d'hétéronormativité, tandis que le rédacteur en chef du journal, Pascal Riché, préférait arguer des prestigieux précédents du titre, du vivant même de son auguste fondateur, Jean Daniel.

Pourquoi tant de haine -y compris provenant de l'intérieur de la profession ? C'est un article de cul comme un autre, putaclic bien entendu, mais pas davantage que bien d'autres. Le conseil de sexologie est maintenant un must, qui s'inscrit dans une jeune mais vigoureuse tradition de la presse généraliste. Quant à la pratique -rien d'autre qu'une forme acrobatique, quasi-olympique, de masturbation-, elle n'implique qu'une personne qui, même mineure, est présumée consentante. Rien donc qui tombe sous le coup de la loi.

Mais visiblement, ce texte a été reçu comme une métaphore. Pire : comme l'hybridation monstrueuse de deux métaphores. Pour son malheur, il est au croisement précis du nombrilisme (contemplation amoureuse de son nombril, métaphore de l'obsession de son propre sort au détriment de tous les autres) et de la fellation (métaphore de la flagornerie intéressée, à travers les innombrables déclinaisons des verbes sucer et lécher). Il concentre donc deux reproches récurrents adressés, sur les réseaux sociaux, à la presse traditionnelle. D'abord l'indifférence aux dominés : les familles qui voient s'approcher le spectre de la faim, les parents contraints d'envoyer leurs enfants à l'école malgré le danger sanitaire, sous peine de suppression du droit au chômage partiel, ont-ils le loisir de "réfléchir vraiment à l'autofellation" ? Et ensuite, la flatterie à l'égard des dominants : voir par exemple la dernière couverture de Match consacrée à Brigitte Macron qui, "à l'Elysée, se bat pour les hôpitaux". Sans même parler de la proximité de la pratique avec la masturbation, elle-même à l'origine de la métaphore "branlette intellectuelle". Bref, il a pris pour tout le monde. 


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