De Le Pen à Zemmour

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 83 commentaires

Sur son canapé, le retraité Jean-Marie Le Pen ne rate jamais les émissions de Zemmour sur CNews. C'est la séquence d'ouverture du Complément d'enquête d'hier soir, consacré au polémiste ultra-nationaliste et antisémite. "Quand il parle comme moi, je l'approuve" répond en riant le nonagénaire au journaliste, qui l'interroge en détachant bien ses syllabes. Canapé moelleux, cheminée, chien à papouilles : le visage et la voix de Jean-Marie Le Pen, comme l'écho visuel d'une stupeur, d'une sidération, d'une angoisse, d'une rage très anciennes, si semblables à celles qui nous étreignent ces temps-ci.

Avant Zemmour, le péril d'extrême-droite porta un nom : Jean-Marie Le Pen, et l'ascension soi-disant irrésistible, d'élection en élection, du Front national, dans les années 1980 et 1990, jusqu'en 2002. Hier comme aujourd'hui, même sentiment d'assister à l'inéluctable. Tout pourrait donc toujours se terminer par un canapé, au coin d'une cheminée ? Cette répétition pourrait être rassurante, s'il n'y avait eu Trump entre les deux, qui montre que le plus improbable finit parfois par advenir.

Aux origines de ces deux cauchemars politiques, comme dit Antoine Perraud sur Mediapart, se trouve la télévision. Et plus particulièrement, la télévision publique. C'est le président Mitterrand qui insiste en 1984 pour que L'Heure de vérité et son quatuor de choc (François-Henri de Virieu, Alain Duhamel, Jean-Louis Servan-Schreiber, Albert du Roy) reçoive Le Pen, alors politiquement insignifiant. Il s'agit de fracturer l'opposition, de la déstabiliser. La manœuvre va magnifiquement réussir, et les débats pour ou contre l'alliance avec le FN vont mobiliser, trois décennies durant, les énergies et le potentiel d'hypocrisie de la droite.

Aucun calcul politique du tandem Laurent Ruquier-Catherine Barma, en revanche, en embauchant Zemmour comme sniper de On n'est pas couché pendant cinq saisons, de 2006 à 2011, les belles années du sarkozysme décomplexé. Entretemps, la télé publique a basculé dans une logique mi-publique mi-privée. Laurent Ruquier est plutôt à gauche, sa productrice Catherine Barma a l'œil rivé sur les audiences qui lui assurent la reconduction de ses contrats à la télévision publique. Zemmour fait le show, et le boulot. De quoi se plaindrait-on ? Avant les tortueux calculs de Bolloré, il y eut donc la télévision publique. Raison d'audience, calcul politique, zone floue où se rejoignent les deux ? Ni Ruquier, ni Barma, n'ont souhaité répondre à Complément d'Enquête.


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